Le noir, toujours le noir. Mais un noir lumineux, un noir qui met en relief ce qui, d’habitude, nous échappe. Chacune des photos de Touhami Ennadre s’apparente à un réveil brutal. Elle nous bouscule en nous disant que nous sommes trop près des choses pour bien les discerner. Ennadre, lui, recule pour mieux voir, nous le faire voir. Il traque l’actu, s’y installe pour ensuite l’ignorer. Son regard la rend hors sujet. Il l’exclut et s’installe face à sa «matière», détachée de son contexte.
Lumière insoupçonnée
Touhami capte le réel qu’il scénarise une fois au labo. Ses clichés évoluent, prennent vie pendant le tirage. Ils sont retouchés, recentrés, reformulés, relus pour enfin faire corps avec lui. Ils deviennent sculptures. L’acte de photographier n’est plus que croquis, base de travail. Doit-on continuer à qualifier Ennadre de photographe ? Lui-même se définit «peintre dans le noir». Le noir dans lequel baignent ses œuvres, le noir du labo dans lequel il œuvre. Sa plastique est une sorte d’esthétisme du sombre. Des évènements tragiques, l’artiste fait rejaillir une lumière insoupçonnée. Portraits et détails du corps humain sont étrangement extraits de leurs liens immédiats pour sombrer dans un univers d’abstraction du réel, celui de l’artiste forcément. Du brut du clic de l’appareil à la finition du sujet saisi, c’est un ensemble de mises au point qu’entreprend Ennadre, histoire de raconter l’instant en s’en éloignant. A l’arrivée, il est acteur et spectateur. Pour décortiquer ce qu’il croque, Touhami a besoin d’un fil rouge qui se trouve être ce noir massif, chargé de rien. En l’apprivoisant, il l’empreint d’émotion.
L’animal, la vie, le sexe, la mort… autant de thèmes pour pointer l’injustice et la démission. Ennadre est un militant déstructuré et pragmatique. Un électron libre. A travers des œuvres silencieuses, il pousse comme des cris de détresse. Il fait des vagues à ressacs, joue avec les maux pour que la lumière entre en scène. Et ce noir qui aveugle!