Ecouter les modérés des deux camps

Du point de vue israélien, l’anéantissement de la puissance de feu du Hamas à Gaza vaut bien le prix à payer exprimé en termes d’indignation internationale et de vies de civils palestiniens. L’objectif ne manque pas d’attrait, et Israël réussira sans doute à ralentir la fabrication des roquettes dans l’immédiat. Mais, tout comme au Liban en 2006, la stratégie militaire israélienne de “frappe et terreur” appliquée à Gaza ne va ni affaiblir le Hamas ni apporter une sécurité durable à l’Etat hébreu. Israël comme Gaza ont le droit de se défendre. Mais il y a une différence entre le droit à l’autodéfense et une démarche permettant authentiquement de mettre fin aux agressions et à la violence perpétuelle.

Le matériau dont sont faites les roquettes du Hamas, ce ne sont ni les douilles et les sacs d’explosifs importés d’Egypte par les tunnels, puis assemblés et lancés à partir des garages gazaouis. Faire sauter les infrastructures de Gaza et tuer les membres du Hamas ne va pas faire disparaître les raisons qui poussent un jeune Palestinien à ramasser un caillou ou à barder son corps d’explosifs. La recette qui fait de bonne roquettes, c’est le climat de désespoir et d’humiliation engendré par un savant mélange de pauvreté et d’impuissance politique.

Gaza est une prison. Le taux de chômage de 45% y est le plus élevé au monde, selon les Nations Unies. La moitié de la population a moins de 18 ans. Un tiers de la population vit dans des camps de réfugiés. Les Palestiniens ont peu de terre et peu de droits. Désespoir et humiliation sont le mélange détonnant qui va continuer d’alimenter de nouvelles générations d’extrémistes et leur fringale de roquettes toujours plus performantes.

Le siège de Gaza risque d’affermir l’emprise des extrémistes dans les territoires palestiniens, tout comme les agressions de 2006 sur le Liban ont renforcé le Hezbollah. Ces agressions font obstacle à l’apparition d’une ligne politique modérée à Gaza et en Cisjordanie, car le peuple voit bien que ses dirigeants modérés restent impuissants devant les agressions israéliennes. Mais comme ces dirigeants modérés sont justement les seuls qui puissent envisager une coexistence pacifique, on se demande avec qui Israël pense négocier à l’avenir. En l’occurrence, c’est la stratégie militaire de l’Etat hébreu qui fait reculer son objectif de sécurité.

Il en va de même de l’éventualité d’une ligne plus modérée en Israël. Plus le Hamas attaque, moins les Israéliens modérés ont de latitude pour négocier la paix. Les fusées du Hamas garantissent que les Palestiniens vont rester isolés et privés de soutiens internationaux. Elles prolongent l’attente des Palestiniens d’un Etat à eux et de l’exercice de leurs droits humains légitimes.

Sensibilité

Si on veut réaliser à la fois l’objectif de sécurité d’Israël et l’objectif de la terre et des droits que poursuit le Hamas, il faudra passer à une autre stratégie, plus intelligente. La paix et la sécurité ne seront jamais le résultat d’une action unilatérale. La recette requiert un savant dosage d’attention et de sensibilité de part et d’autre.

Au départ de cette stratégie nouvelle, une révision complète des antécédents historiques, des causes et des effets. En Israël la version dominante de l’agression contre Gaza remonte à la pluie inexcusable de fusées déversée par le Hamas sur les maisons et les écoles israéliennes, avec, en filigrane, un passé de plus de deux mille ans de peur et de persécutions. La version des Palestiniens remonte à la dépossession irréparable de leurs terres, de leurs maisons, de leurs foyers et de leurs commerces, passés en des mains étrangères, eux qui sont devenus des réfugiés contraints de s’entasser dans de minuscules enclaves désertiques.

Pour réussir, la stratégie doit prendre en compte les griefs légitimes de part et d’autre. Palestiniens et Israéliens ont un héritage historique dans la région. Des deux côtés, ils connaissent les souffrances d’un peuple sans terre et le désir passionné de conserver une terre qui, selon eux, leur appartient. Les deux peuples se considèrent comme des victimes de l’autre.

Une démarche intelligente supposerait que le Hamas reconnaisse le droit d’Israël à l’existence et à la sécurité, et qu’Israël reconnaisse et répare la désespérance économique et politique des Palestiniens. Les Palestiniens ont besoin d’un Etat, de liberté de mouvement et d’une aide internationale pour créer des emplois. Les sondages d’opinion montrent que cette démarche bénéficie d’un soutien important de part et d’autre. Il serait temps que les Etats-Unis et la communauté internationale se rangent au côté des modérés israéliens et palestiniens, plutôt que d’écouter les sirènes militantes qui, des deux côtés, voudraient imposer une solution militaire impossible à un problème qui est en fait politique et économique.