Une scène artistique effervescente et fermée
A elle seule, l’existence même du premier Salon d’art contemporain qui s’est tenu du 18 au 21 décembre à Marrakech est à saluer. Jamais en effet une initiative avait permis d’avoir une vision d’ensemble de la production artistique marocaine, depuis les salons d’hiver des années 50 qui ont présenté dans la ville ocre des oeuvres d’artistes devenus célèbres, de Jacques Majorelle à Mohamed Ben Allal. Ce vide contrastait avec une créativité et un dynamisme impressionnants, la multiplication des galeries et des ventes aux enchères dans les grandes villes du royaume, la prochaine ouverture d’un musée d’art contemporain à Rabat, la création d’espaces d’exposition par les fondations des groupes industriels ou financiers qui débloquent des fonds pour acquérir des oeuvres comme jamais dans l’histoire du mécénat au Maroc et une envolée des prix inédite et insondable. Bref, avoir des tableaux est devenu une obligation, véritable must de la réussite sociale dopé par les penchants et les acquisitions du roi Mohammed VI amateur, dit-on, d’art moderne et contemporain.
Le coeur du problème
L’engouement est tel qu’on s’étonne qu’il ait fallu si longtemps pour voir réunies plusieurs générations d’artistes marocains, de Hassan El Glaoui à Farid Belkahia – auxquels un hommage à été rendu – et tout l’éventail de la création marocaine, peinture, photo, vidéo et installations. En ce sens, Abderrazzak Benchaâbane a réussi son pari en lançant cette première biennale à laquelle ont participé six galeries, cinq marocaines et une française. Le début est prometteur, même si s’imposent la création d’un conseil scientifique et l’association de davantage de galeries marocaines, notamment celles de Casablanca, et de galeries étrangères à la fois pour pérenniser le salon et faire connaître les artistes marocains à l’étranger.
Car c’est là le coeur du problème. Rares sont ceux dont la notoriété franchit les frontières du Maroc alors que les talents y foisonnent, du très couru Mahi Binebine à Mohamed Mourabiti, Fouad Bellamine, Ilias Selfati, Yamou, Hassane Bourkia en passant par la nouvelle génération des Younes Kourassani, Said Raji, Moulay Youssef El Kahfaï, Amina Benbouchta, le vidéaste Hichem Benohoud ou Safaa Erruas, qui a présenté une superbe installation, hélas pas assez mise en valeur, au salon de Marrakech. Une situation résumée par Toni Maraini. «Les galeries en Europe ne savent même pas que l’art existe au Maroc», a affirmé cette historienne de l’art, tandis que l’universitaire Jean-François Clément notait «qu’on ne savait pas utiliser l’art pour changer l’image du Maroc à l’étranger».
Miser sur les collectionneurs du Golfe ?
Cette distorsion explique à la fois la flambée des prix depuis trois ans dans un marché marocain qui reste toutefois fermé et l’impossibilité de vendre à l’étranger à un tel niveau de prix. C’est sans doute une satisfaction à court terme pour les galeristes et les peintres. Mais c’est aussi un obstacle à moyen terme pour que les artistes marocains aient enfin la place qu’ils méritent sur la scène internationale. Sauf à miser d’autant plus sur les collectionneurs du Golfe que les Occidentaux, frappés par la crise, achèteront de toute façon moins.
Toutes ces questions font que le prochain salon d’art contemporain de Marrakech est attendu avec impatience dans ce pays à la fois en pleine effervescence artistique et où l’oeuvre immense d’un Mohamed Kacimi peut se détériorer, otage de sombres querelles de succession… et reflet d’un désintéressement de l’Etat qui conduit les artistes à créer eux-mêmes des espaces alternatifs. Rendez-vous donc en 2010 pour un deuxième salon.