Ahmed charaï
Le parti islamiste a perdu en 10 jours l’image qu’il s’est évertué à construire depuis des années. L’image d’un parti aux pratiques plus saines que celles de la concurrence, à la morale irréprochable. Cela a commencé d’abord par une bourde phénoménale de Abdelilah Benkirane, le nouveau secrétaire général du PJD. Sa langue a fourché. Il a déclaré que le Roi avait appliqué la recommandation de son parti en créant un compte pour le soutien de Gaza. C’est d’abord un manque de respect protocolaire. Les décisions royales ne pouvant être revendiquées par quiconque.
Mais ce n’est qu’un aspect du problème. L’image du PJD et de son chef a surtout pâti de l’instrumentalisation, à des fins politiciennes, de l’immense soutien populaire à Gaza. L’élan national, général, en faveur des Palestiniens face à l’agression israélienne, utilisé pour préparer les élections municipales, voilà ce qui a choqué et qui a été relevé par la presse, les observateurs et l’ensemble de la classe politique.
La femme de César.
Dix jours après, le ministère de l’Intérieur destitue le maire de Meknès. Celui-ci était un peu la vitrine du parti. Il gérait une grande ville, la plus grande tombée dans l’escarcelle des islamistes, avec un aspect moderne, issu d’un milieu bourgeois. Dès que l’information est tombée, le PJD a ressorti sa fameuse litanie sur la tentative de contrecarrer sa prétendue force électorale. Seconde faute des islamistes, en essayant d’installer le débat sur ce terrain glissant, ils ont obligé le ministre de l’Intérieur à livrer le fonds du dossier à la presse, ce qui n’est pas dans son habitude.
Et qu’apprend-on ? Hamid Belkora a été destitué parce qu’il ne respectait pas les règles de transparence sur les marchés publics, qu’il n’appliquait pas les pénalités de retard aux entreprises qu’il avait choisies. Et surtout, qu’il a autorisé sa propre épouse à construire un ensemble de 250 appartements sur une zone villas, en violant le plan d’urbanisme de la ville. Une poursuite pénale n’est d’ailleurs pas exclue.
Le PJD se normalise au-delà de ses espérances. Il apparaît pour ce qu’il est réellement, un parti qui a les mêmes travers que les autres. Cette nouvelle image risque de lui coûter cher. Il n’est plus le dépositaire du vote protestataire puisqu’il est ‘’comme les autres’’.
Le parti des islamistes a trop longtemps développé l’image de militants pieux, désintéressés, pour ne pas être éclaboussé par la faute du maire de Meknès. Avec son discours moralisateur, il s’est mis dans la situation de la femme de César, il n’a même pas le droit d’être soupçonné. Son équipe à Meknès, où il est majoritaire, a été prise la main dans le sac. Il ne s’agit pas d’une défaillance individuelle puisque tout le bureau a laissé faire en contrepartie d’avantages. En refusant de dénoncer cette dérive, le PJD s’est piégé lui-même et a lancé la campagne pour les municipales d’une drôle de manière.
Etat PJD, rien ne va plus
mohamed semllali
Le mardi 27 janvier dans l’après-midi, l’activité dans le siège du PJD sis au quartier les orangers, ressemble aux jours ordinaires. Expéditions des affaires courantes entre deux coups de fil provenant des régions. Rien ne perturbe la tranquillité des islamistes «modérés», malgré les quelques tracas causés par les démissions de plusieurs membres du parti appartenant à la section de Sefrou. Soudain, la nouvelle tombe comme un couperet. Un communiqué de la primature sur le fil de la MAP laisse les dirigeants islamistes groggy. Les termes utilisés par Abbas El Fassi à l’encontre du PJD sont d’une violence inouïe, frôlant même par moments l’injure.
Abbas El Fassi sort de la torpeur dans laquelle il s’est confiné depuis sa nomination à la tête du gouvernement et empoigne une machette bien acérée pour découper le PJD et ses leaders en grands morceaux. Le Premier ministre reproche à Abdelillah Benkirane, sans le nommer, d’utiliser à des fins politiciennes les causes majeures du pays et de la nation. Le communiqué de la primature rappelle que les positions royales n’obéissent ni à des influences étrangères ni à des considérations conjoncturelles passagères, avant de dénoncer l’exploitation politicienne de la solidarité manifestée par S.M le Roi et le peuple marocain avec la population de Gaza.
El Fassi exprime la colère royale
Jusque-là, le ton était violent, sans concession. Plus loin, il se fera carrément menaçant, puisqu’il insiste sur le refus juridique et éthique d’engager la personne sacrée de Sa Majesté dans de bas calculs politiciens. Devant cette charge à la hussarde, les dirigeants du PJD ne croient pas leurs yeux. Les téléphones sonnent. Les coups de fil se multiplient. Personne n’ose le mot, mais il est pourtant sur toutes les lèvres. La lettre de Abbas El Fassi ne lui ressemble pas. Tous se rendent alors à l’évidence. La primature a servi de courroie de transmission pour la colère «royal». Parce qu’il ne fait aucun doute que c’est le roi qui est en colère contre le PJD et son secrétaire général. La cause : Abdelillah Benkirane aurait déclaré lors d’un meeting avec les militants du parti que le PJD a été l’inspirateur de l’ouverture du compte bancaire en faveur de Gaza, une action qui a été décidée par le roi.
Le PJD serait-il allé trop loin ? Les cadors du parti islamiste n‘en sont plus là. Il y a le feu et il faut rapidement l’éteindre. Il est loin le temps où le souverain appelait directement Benkirane pour le féliciter de son élection à la tête du PJD. Au siège du parti, tout le monde se rappelle alors les lendemains «noirs» des attentats du 16 mai 2003. Le parti avait à l’époque failli être interdit. Il a dû faire profil bas pendant plusieurs mois. Ses patrons rasaient pratiquement les murs. Le souvenir douloureux de cette période est encore vivace chez la plupart des militants du parti.
Mais ce mardi soir et face à la saillie de Abbas El Fassi, l’incompréhension chez les pjdistes laisse peu à peu la place à de l’inquiétude voire à de l’angoisse. La tonalité martiale la missive de chef du gouvernement exige une réponse sans tarder. Abdelillah Benkirane, pris de court, perd son calme et cafouille. Lorsque des confrères le contactent, il va jusqu’à nier avoir déclaré quoi que se soit sur le sujet avant de se rétracter et de dire que ses propos ont été mal compris ou tout simplement déformés, notamment par le quotidien Al Massae qui a été le premier à rapporter ses paroles. Dans la foulée, une réunion des principaux dirigeants du parti est convoquée. Plusieurs figures de proue du PJD ne sont pas présentes à la réunion pour différentes raisons. Le secrétaire général du PJD se fonde dans la hâte d’une lettre adressée au premier ministre dans laquelle il exprime ses regrets quant à la mauvaise interprétation de ses propos. Si ce n’est pas un véritable mea culpa, cela lui ressemble étrangement et fait grincer les dents des faucons du parti, toujours prêts à en découdre avec «le pouvoir».
La mauvaise passe de Benkirane
En tout cas, avec cette lettre « d’excuse » Benkirane se croit sorti de la mauvaise passe dans laquelle il s’était mis quelques jours auparavant. Cependant, deux jours après cet incident, un coup de tonnerre retentit dans le ciel des islamistes. Les quotidiens casablancais évoquent une décision du ministère de l’Intérieur qui révoque en raison de graves irrégularités le maire de Meknès, un certain Aboubakr Belkora élu sous la bannière du PJD. Cette fois-ci le ciel tombe sur la tête des islamistes. Selon l’un de leur dirigeants cela fait trop de coïncidences à la fois pour ne pas être téléguidé. Mais qu’est ce que l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT) reproche à Aboubakr Belkora ? Le travail d’audit et de contrôle de la gestion de la commune de Meknès a révélé plusieurs irrégularités. Les plus graves concernent les violations des règles organisant la passation des marchés publics. En outre, il lui est reproché d’avoir accordé à son épouse l’autorisation de construire un complexe résidentiel de 200 appartements dans une zone réservée aux villas. Une autorisation qui ne respecte ni les dispositions en vigueur dans le domaine de l’urbanisme ni l’avis, défavorable, de l’agence urbaine.
Belkora pris la main, dans le pot
Cette fois-ci, c’en est trop pour les chefs du PJD. Ils décident de ne pas se laisser faire. Il y va de leur crédibilité devant leur base. Il leur est insupportable de perdre la face deux fois dans la même semaine. Une conférence de presse est alors organisée le samedi au siège du parti. Toute la presse est conviée. Benkirane, en présence d’Aboubakr Belkora, essaie de politiser l’affaire. Il est nerveux, déstabilisé. Il accuse le ministère de l’Intérieure de viser son parti afin de le fragiliser en vue des élections communales de juin 2009. Ses arguments sont peu convaincants. Le maire de Meknès a été pris la main dans le pot de confiture et il sera difficile de le disculper. Benkirane sait que le PJD n’a pas encore fini de manger son pain noir… de boire le calice jusqu’à la lie. Et il n’a pas tout à fait tort. Dès le lundi 2 février, le ministère réagit publiquement et avec célérité aux insinuations du PJD. Il livre à la presse le fonds du dossier Belkora. C’est Mohamed Fassi Fihri, le wali directeur de l’inspection générale de l’administration territoriale flanqué de Mohamed Achour chargé de la communication au ministère de l’Intérieur qui se livre à l’exercice. Le dossier du maire de Meknès est accablant et les preuves sont irréfutables. Le haut responsable du ministère balaie d’un revers de la main toute accusation de cabale politique contre le PJD. Et pour la première fois, la possibilité d’éventuelles poursuites juridiques est franchement évoquée. Le parti de Abdellilah Benkirane est KO debout.
Un timing qui laisse perplexe
Mais au-delà des faits, cette semaine laissera des traces indélébiles dans les relations du PJD avec l’Etat. Si les islamistes reconnus ne sont plus cette force politique qu’on a longtemps redoutée, il n’en demeure pas moins que dans certains cercles proches du pouvoir le PJD est perçu comme une menace. D’ailleurs, il est difficile de faire croire que dans parmi les maires des grandes villes, seul celui de Meknès a commis de graves irrégularités. Le timing choisi laisse également perplexe. A quelques mois des élections communales, la machine de l’Etat s’ébranle et engage un bras de fer avec le PJD en lui assénant coup sur coup. D’autant plus que la relation entre l’Etat et le parti fondé par feu Abdelkrim El Khatib n’a jamais été un long fleuve tranquille. A plusieurs reprises, l’Etat a répondu aux maladresses des islamistes par beaucoup de nervosité, parfois injustifiée. Mais jusque-là, les choses ont toujours fini par rentrer dans l’ordre et le processus de «domestication» des islamistes a continué de plus belle.
Alors si l’Etat a décidé de hausser le ton en ce moment, ce n’est certainement pas le fruit du hasard. Pourquoi cette poussée de fièvre contre le PJD ? Relève-t-elle d’un simple «gestion politique» ou s’inscrit-elle dans une «logique électorale» ? La réponse, selon les observateurs, ne tarderait pas à surgir dans la grande lumière du jour, notamment lors des prochaines élections communales.
Aboubakr Belkora, Le maillon faible
Mohamed Semlali
Aboubakr Belkora n’a rien d’un islamiste barbu comme on en voit un peu partout. Point de pilosité hirsute ni d’accoutrement rustique. L’homme est certes pieux, mais aussi un bon vivant. Il adore les costumes bien coupés et les voitures dernier cri. Il ne refuse rien à sa petite famille. Etudes dans les meilleures universités et écoles occidentales, voyages de rêves et mode de vie très moderne. Mais qu’est ce qui a fait de Belkora, jusqu’en 2003 un profane en politique, l’un des hommes clés du PJD ? En effet, rien ne prédestinait ce quinquagénaire «bon père de famille» plutôt aristocrate à être le porte-flambeau de la gestion municipale islamiste. A la veille des élections communales de 2003, il n’avait en tête que de faire fructifier les domaines agricoles familiaux, par ailleurs florissants.
Selon des sources proches du maire déchu de Meknès, c’est Moulay Mehdi Alaoui, wali de Meknès à l’époque, qui partageait la même passion que Aboubakr Belkora pour les choses de l’agriculture qui le convainc d’entrer en politique. L’homme refusa un moment avant de céder aux sirènes du PJD qui était à la recherche de profils de «notables». A la surprise générale, le parti islamiste arrive à placer 13 conseillers sur 55 dans le conseil de la ville dont Belkora lui-même. Un résultat insuffisant pour briguer la mairie, mais c’était sans connaître la roublardise de Moulay Mehdi Alaoui qui plaida la cause de son «ami» auprès du ministère de l’Intérieure. Au forceps, le wali réussit à réunir autour de Belkora une majorité hétéroclite, mais une majorité tout de même. Du jour au lendemain, Meknès devint la vitrine de la gestion municipale islamiste. Tous les regards se tournent alors vers la ville fondée par Moulay Ismaël, et Belkora est devenu une star traquée par les médias nationaux et internationaux.
Pour autant l’homme ne perd pas le Nord. Dans sa gestion municipale, il est flanqué d’apparatchiks du PJD. Belkora, lui-même, s’aligne de plus en plus sur les positions du parti. Cela dit, il n’arrive pas à imposer son rythme et dégager une vision claire quant aux projets qui doivent accompagner l’essor de la vile. Les attentes augmentent, la population s’impatiente et l’autorité de tutelle voit d’un mauvais œil le laisser-aller dans lequel sombre la ville. En plus les déclarations du nouveau maire n’arrangent rien. Dans une rencontre avec Jeune Afrique il se dit prêt à construire face à chaque bar, dix mosquées. Il faut dire que ce n’est pas sur ce point-là que Belkora était attendu. Mais la goutte qui fait déborder le verre est celle des transports publics. Pendant deux ans, le maire n’arrive pas à solutionner le problème d’une régie surendettée et en faillite. Et la ville de Meknès, une agglomération de 750.000 habitants, est carrément privée de bus. Les appels d’offre pour la concession de ce service demeurent infructueux et l’anarchie est alors totale. Devant les sit in et les protestations des employés, sans travail, de la régie, le maire reste de marbre et joue les prolongations… Sauf que le roi est passé par là. Au terme d’une visite dans la ville de Meknès, le souverain convoque une réunion de travail sur l’avenir de la cité… Belkora n’assiste pas à la réunion qui vit le chef de l’Etat ordonner, non sans colère, au maire absent de trouver rapidement une solution au problème du transport public. Le capital sympathie dont on créditait Aboubakr Belkora jusque-là vient de fondre sous les températures caniculaires de la capitale de Moulay Ismaël.
Depuis cet incident, le maire «mal aimé» n’en finit de ramer. Les réussites se font attendre et un nouveau wali peu accommodant et envahissant lui dispute la gestion de la vile. Hassan Aourid, qui troque sa casquette de porte-parole du palais pour celle de Wali de la région de Meknès Tafilalet, ne cache pas son désaccord «politique» avec le maire. Les relations sont très tendues. Et la ville pâtit de cette inimitié à sa tête. Mais Hassan Aourid ne reste pas longtemps à la tête de la wilaya. Lors du dernier mouvement, il est remplacé par Mohamed Faouzi, un ingénieur qui a embrasé une carrière d’agent d’autorité. Mais la grande surprise tombe une semaine après. Aboubakr Belkora est révoqué et traduit devant la justice pour plusieurs irrégularités dans l’exercice de ses prérogatives. Un point final est peut-être mis à l’histoire de la gestion municipale du PJD.
PJD, la révolution du Nord
HAKIM ARIF
Dans sa riposte à la démission des membres de Sefrou, la direction du PJD a expliqué dans les médias que les personnes concernées n’étaient pas toutes de la famille du parti. En fait, il ne s’agirait que de sept membres. Faux, réplique Mustapha Sebbar, leader de ce mouvement. Pour lui, tous les signataires de la lettre de démission sont des membres du parti, sans exception. Certains sont des élus locaux à Sefrou, d’autres ont des responsabilités au sein de la section locale. La plupart avaient même participé au congrès régional qui a eu lieu le premier janvier de cette année. D’où l’interrogation de Mustapha Sebbar concernant l’attitude de la direction du PJD. Pour lui d’ailleurs, les expressions de mécontentement ont toujours existé dans toutes les sections du parti. Seulement, avant, explique-t-il, la direction du parti ne faisait rien, croyant que le mouvement ne concernait que quelques éléments. Les patrons du parti étaient donc bien installés dans leur certitude que rien de grave ne pouvait arriver à leur instance. Cette fois, les choses ont bel et bien changé. Le mouvement est plus grand et ses meneurs sont décidés à aller jusqu’au bout. Parce que, dit Mustapha Sebbar, la situation est intenable. Le parti est mené par l’association Attawhid wal Islah, «Unité et réforme». Le problème est général. L’association intervient dans toutes les décisions du parti, que ce soit au niveau local, régional ou national. Et bien entendu, tout le monde n’est pas membre de «Unité et réforme», précise Mustapha Sebbar, fondateur aussi bien du mouvement islamiste à Sefrou que du PJD local. Ce n’est donc pas n’importe qui. Mais alors pourquoi maintenant ? Les pjidistes de Sefrou ont bien entendu suivi le congrès du parti, ce qui leur a permis de remarquer que la direction manquait de fibre démocratique. Par exemple, pour l’élection du bureau d’Al Hoceima, Benkirane était lui-même intervenu en faveur d’un candidat alors que, en tant que secrétaire général du parti, il ne devait pencher pour aucun des deux côtés. C’était une des erreurs à avoir causé le plus de dégâts. Il y eut également d’autres clashes que les militants de Sefrou n’ont pas oubliés. Et notamment l’organisation de la marche de soutien à Gaza. L’événement de trois jours a été coordonné avec l’association Al Adl Wal Ihssane. L’association Attawhid wal Islah a décliné l’invitation. Le premier jour, elle n’a pas participé, le deuxième jour, non plus, mais au troisième, elle a décidé de manifester reprenant à son compte tout le travail effectué par la section locale du PJD. Preuve qu’elle intervient dans les affaires du parti, elle voulait que Abdelilah Benkirane, le secrétaire général du parti, fasse partie des manifestants. Il fallait donc en aviser Al Adl. Question de niveau de représentation. Si le PJD présente son SG, il faut que l’association d’Abdeslam Yassine soit elle-même représentée à un haut niveau. Finalement, A. Benkirane n’est pas venu, ce qui résolvait la question. C’est donc l’immixtion du mouvement Attawhid Wal Islah dans les affaires du parti qui a fini par irriter les démissionnaires. Dans leur lettre de démission, les rédacteurs parlent d’un coup d’Etat interne conçu par la direction du parti dont l’exécution aurait été confiée au mouvement Attawhid, une structure non partisane. Le but étant de s’assurer la loyauté de personnes consentantes, en fait des “personnes à l’obéissance aveugle”, selon la lettre.
Une missive assassine
Passage de la lettre : «La feuille de vigne qui cachait les tares du parti depuis longtemps est tombée en cet automne froid. A. Benkirane lui-même ne peut nier qu’il a juré de monter son cheval (sa voiture de luxe) et ordonner à son chauffeur de le conduire à Sefrou dans deux semaines au maximum après le congrès scandale, pour rétablir les droits». Les démissionnaires ont attendu et Benkirane n’a rien fait, ce qui alourdit les charges contre lui. On lui reproche justement le fait qu’il soit transcendant avec certains membres du parti. Plus encore, les démissionnaires ne semblent pas aimer sa façon de dire «mon parti». Et ils le disent dans leur lettre. Ils ont même des soupçons quant au positionnement de leur parti dans l’opposition. Ils n’en croient rien. Exemple, lors des manifestations contre la cherté de la vie à Sefrou, le secrétariat général a préféré «s’enfouir la tête dans le sable». «Sans parler de l’autre tête, le mouvement Attawhid Wal Islah, toujours enfoui dans la glaise en pareilles circonstances». Le SG s’est contenté d’émettre un communiqué de presse «très timide». Plus encore, «le secrétaire provincial, allié du secrétariat régional, a exercé des pressions allant jusqu’à des menaces sur le secrétaire local de Sefrou pour qu’il ne fasse rien qui puisse les embarrasser devant les autorités. Le SG ne voulait surtout pas que le pouvoir dise que le secrétariat du parti est du côté des manifestants». La lettre se veut donc un réquisitoire contre les pratiques du groupe constitué par le «clan qui domine le parti dans la province de Sefrou et dans la région Fès Al Hoceima et qui est l’allié du secrétaire général». La lettre de démission révèle que ce groupe est coupable également de pratiques douteuses. Ainsi, il a escroqué une personnalité connue dans la province contre la promesse d’être en tête de liste. Le groupe a ainsi reçu des cadeaux en nature, deux sommes de 6.000 et 20.000 DH, l’organisation d’un grand dîner à l’occasion de la visite de l’ex-secrétaire général Saâd Eddine Othmani qui a quitté la ville la nuit chargé de cadeaux». Ce groupe est également accusé d’avoir fabriqué des listes de membres pouvant assister au congrès du premier janvier 2009, intégrant des personnes ayant déjà démissionné du parti et excluant d’autres membres dont la situation est saine vis-à-vis du parti. Pour finalement faire élire au poste de secrétaire provincial, la personne qui a toujours été absente du siège du parti.
Des gens qui craignent Dieu
H. A
Selon le spécialiste de l’islam politique Saïd Lakhel, les démissions au sein du PJD sont un événement normal. Lorsque des militants se sentent négligés ou marginalisés, ils manifestent leur mécontentement, ce qui peut aller jusqu’à la démission. Dans le cas du PJD, l’affaire est plus complexe, dit S. Lakhel, du fait de l’existence du mouvement Attawhid Wal Islah qui commande le parti et qui exclut tous ceux qui ne sont pas membres du mouvement et surtout ceux qui sont estampillés Abdelkrim Al Khatib. D’ailleurs, le dernier congrès du parti avait insisté pour distinguer le religieux et le politique, rappelle Saïd Lakhel qui conclut qu’apparemment le PJD n’a pas pu y arriver. Pour le spécialiste de l’islam politique, la raison principale qui a poussé les membres de Sefrou et Nador à démissionner est la même que celle qui avait motivé la démission de Khalladi qui a créé son propre parti. S. Lakhel rejoint parfaitement l’analyse faite par les démissionnaires. Le PJD n’est donc pas ce qu’il veut bien montrer. Le manque de démocratie est aujourd’hui patent. Il a longtemps caché aussi que ses élus sont intègres et différents des élus des autres partis. Il a toujours fait campagne sur cette qualité inexistante chez les autres et abondante chez ses membres. Avec l’affaire Belkora, cet argument tombe aussi à l’eau, explique S. Lakhel. Le maire de Meknès a été pris la main dans le pot de confiture, bénéficiant de sa position pour favoriser certains dont sa femme. Cette dernière a pu contourner les lois de l’urbanisme et construire en dehors du cadre légal. Lui-même a profité de sa situation, insiste l’expert. Or, le PJD qui a présenté Belkora aux élections l’a cautionné en tant que personne irréprochable. D’où l’embarras dans lequel se trouve le parti aujourd’hui qui n’arrive toujours pas à trouver des arguments en dehors du raisonnement religieux. S. Lakhel rappelle à ce sujet la visite des membres du PJD à Anafgou. Ils avaient rassemblé les citoyens dans la mosquée et leur ont distribué des pains de sucre, à la manière des anciens donc. Lorsque les citoyens leur ont demandé qui ils étaient, ils ont répondu : «nous sommes des gens qui craignent Dieu». Pour Saïd Lakhel, l’impact de ces affaires sur le PJD dépend de la conscience des citoyens. S’ils sont informés, ils finiront par se rendre à l’évidence que les élus du PJD ne sont pas aussi intègres qu’ils le disent. Pour le chercheur de l’islam politique, les événements que le PJD vit aujourd’hui indiquent qu’il ne se distingue en rien de certains partis qu’il critiquait. Au contraire, insiste le spécialiste, il existe certains partis où l’intégrité des élus est plus réelle que dans le PJD.
Et maintenant, que faire du PJD ?
mohamed semllali
L’Etat n’a jamais porté le PJD dans son c?ur. Leur relation a toujours été empreinte de méfiance et de beaucoup de « non-dit ». C’est que l’Islam politique a souvent posé problème au gouvernement aussi bien dans sa représentation que dans son exercice. L’impression qui se dégageait depuis le départ est que l’Etat accepte le PJD dans le jeu politique, mais à reculons. A la moindre incartade des islamistes légalisés, l’Etat rue dans les brancards.
En 2002, l’Etat ne veut voir les islamistes remporter les élections législatives. Tout le monde craignait un raz de marée islamiste et un scénario à l’algérienne. Le PJD obtempère et ne présente ses candidats que dans quelques circonscriptions. C’est que l’on appellera par la suite le principe de «l’autorégulation». Le ministère de l’Intérieure joue la transparence et le PJD empoche 42 députés. L’Etat sait se montrer grand seigneur, quand il le veut. Mais le Makhzen sait aussi se fâcher.
La première escarmouche entre le Makhzen et le PJD remonte au lendemain des attentats du 16 novembre 2003. Subitement le PJD qu’on présentait comme l’exception moderne et démocratique des islamistes arabes devient encombrant. Une procédure judiciaire contre le PJD est un moment évoquée dans les cercles « proches du pouvoir ». Une frange « éradicatrice » se fait de plus en plus entendre parmi une certaine élite politique et trouve des échos jusqu’à dans la presse. L’idée selon laquelle tous les islamismes sont des vases communicants fait son chemin. La presse et les intellectuels parlent de la « responsabilité morale » du PJD. On est à deux doigts de l’irréparable. Le jour de la manifestation contre les actes terroristes, organisée à Casablanca, les dirigeants et les militants barbus sont exclus manu militari. Tout le monde y voit le signal de la fin…Pas encore peut être. L’Etat revient à de meilleurs sentiments envers le parti islamistes. On n’en est qu’à quelques mois des élections communales. Le scrutin se passe très bien et les islamistes ne réalisent pas de percée notable.
Mais l’Etat ne lâche pas prise pour autant. Mustapha Sahel alors ministre de l’Intérieure demande la tête de Mustapha Ramid et de Ahmed Raissouni accusés d’avoir évoqué la question constitutionnelle de manière « désobligeante ». Le PJD dirigé par Saad-eddine El Othmani s’exécute illico presto et vire Mustapha Ramid de la tête du groupe parlementaire. Dans la foulée, Ahmed Raissouni démissionne de la présidence du MUR, matrice du PJD qui décide de changer son discours moralisateur…Plus pour longtemps. Chassez au naturel, il revient au galop.
Le PJD aux antipodes de la monarchie ?
En janvier 2005, le journal Attajdid organe d’Attawhid wa al Islah, lance un pavé dans la mare. Il affirme que le Tsunami qui a frappé l’Asie est une « punition divine » du tourisme sexuel et que c’était un avertissement pour le Maroc. Branle-bas dans la presse et chez les intellectuels. Les propos d’Attajdid suscitent une véritable levée de boucliers. L’article incriminé réveille les vieux démons et une bataille, par presse interposée, s’engage dans le pays entre les « laïques » et les « religieux ».
Le PJD est encore une fois suspecté de creuser le lit de l’obscurantisme et du radicalisme. L’accusation n’est pas fausse, même si elle est exagérée. En effet, le PJD est la manifestation d’un courant de pensée dominé par le référentiel des Frères Musulmans. L’activisme des militants du parti répond à une volonté de moralisation de la vie publique. Le problème, c’est que cette vision se trouve tout le temps en confrontation directe avec les grands projets modernisateurs de l’Etat. Que se soit sur le plan économique ou social, les positions du PJD sont aux antipodes de celles du gouvernement et de la monarchie. C’est pourquoi une question se pose : jusqu’à quand cette situation flux et de reflux continuera entre l’Etat et le PJD ? Seul le pouvoir semble en mesure de répondre aujourd’hui.