Kadhafi 40 ans d’incohérence

AHMED CHARA?

Le Maroc, invité au 40e anniversaire de l’arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi, suite au coup d’Etat du 1er septembre 1969, a eu une très mauvaise surprise. La délégation conduite par le Premier ministre, Abbes El Fassi, s’est retrouvée face à face avec celle de la RASD, conduite par Mohamed Abdelaziz. Elle a dû quitter les festivités de manière précipitée. Le geste du colonel est aussi irrationnel que le reste de ses agissements, tant sur le plan interne qu’international. Officiellement, la Libye n’a jamais reconnu la RASD. Invitant des représentants des Etats, le colonel n’avait aucune raison d’inviter l’entité fantoche. Les relations avec le Maroc étant plus que cordiales, il aurait pu informer la diplomatie nationale de cette présence incongrue. Bien au contraire, il aurait, selon des sources dignes de foi, assurè Rabat que le Polisario n’est pas invité.

Un individu normalement constitué aurait tout fait pour éviter le clash. Parce que les contrats juteux sont en jeu , même si toutes les grandes démocraties n’ont pas accepté l’invitation à la célébration du coup d’Etat du guide de la Jamahiriya. Depuis la fin du blocus, les gouvernements occidentaux, transformés en VRP, jouent du coude pour dompter un individu aux frasques multiples mais au budget intéressant.

Retour furieux.

Pour justifier cette proximité peu en adéquation avec les valeurs portées par les démocraties occidentales, les capitales ont développé un discours, vite démenti par les faits.

Ainsi Kadhafi aurait changé. Il aurait rompu avec le terrorisme, en payant cash et opterait pour des relations «cleans». Ils ont vite déchanté.

La Suisse d’abord. Les juges helvètes ont poursuivi l’un des fils du «guide». Les Libyens ont sanctionné économiquement la Suisse et surtout pris en otages les ressortissants suisses qui travaillaient en Libye, en exigeant des excuses officielles. Pas moins. Les intérêts en jeu étaient conséquents, la confédération, reniant la séparation des pouvoirs a fini par céder. Le président s’est excusé auprès du colonel : cette humiliation n’a pas suffi à Tripoli, qui garde ses otages et réclame une caution de 500.000 euros. La propagande annonce un triomphe.

Des «victoires» insensées

Les Britanniques ont subi pire. Impliqué dans l’attentat de Lockerbie, El Megrahi n’avait été extradé par la Libye qu’après plusieurs années de pression internationale et de sanctions économiques. Condamné à perpétuité, il purgeait sa peine en Ecosse. Cancéreux en stade final, selon la version officielle, il avait demandé une relaxe pour raisons humanitaires, qui lui a été accordée. Présentée comme telle, la libération choquait les familles des victimes, les jusqu’au-boutistes, mais restait à la fois légale, éthique et digne.

La Libye ne l’entendait pas de cette oreille. Le mythe de la Jamahiriya «AL ODMA » a besoin de victoires, de mise à genoux des grandes puissances. Seif Al Islam, le fils, annonce que la libération de Megrahi fait partie d’un marché concernant les hydrocarbures. Son père enfonce le clou, parle d’un accord et remercie… la reine Elizabeth, alors que celle-ci n’a aucun rôle exécutif. Du coup, le prétendu geste humanitaire est transformé en un vulgaire marchandage. Kadhafi est fier d’annoncer à son peuple qu’il n’a pas abandonné à son sort celui qu’il désigne comme «le digne fils et serviteur de la patrie», celui-là même qui a causé la mort de près de 270 personnes. Si les mots ont un sens, Kadhafi reconnaît sa nostalgie de l’anti-occidentalisme primaire.

Les Occidentaux n’en ont cure. Tout est à refaire en Libye, les contrats juteux sont sur la table et en ce temps de crise, il est extrêmement difficile de trouver un client avec autant de besoins, solvable.

C’est cette réalité là, gênante à afficher, que le putschiste de Tripoli transforme en «triomphes diplomatiques».

Par ailleurs, Kadhafi est toujours aussi versatile, Arabe un jour, Africain le lendemain, changeant d’alliances au grè de ses humeurs. A part l’argent des hydrocarbures, la Lybie n’a aucun poids sur la scène internationale. Elle n’est pas crédible tout simplement. Même si Mouammar s’est déclaré «Roi des Rois d’Afrique».

Du coup, l’invitation d’Abdelaziz, la goujaterie réservée à la délégation marocaine prend son sens. Ce n’est qu’une énième incohérence du guide libyen. Celui-ci est le même après 40 ans d’exercice d’un pouvoir dictatorial. Ni la raclée égyptienne, ni la leçon américaine, ni la mise en quarantaine pendant des années n’ont suffi à le changer. Il est à la tête d’un pays aux ressources énormes et à la population très limitée. Il a de quoi payer ses incohérences, c’est son seul atout.

Il vaut mieux en rire !

Le pétrole du bédouin

Hakim Arif

A quoi pouvait bien servir l’argent du pétrole libyen ? Le «guide de la Jamahirya» Mouammar Kadhafi voulait exporter sa «révolution verte» et assurer le plus grand espace à son livre vert. L’argent devait servir à cela. Le monde se souvient encore des attentats de Lockerbie (décembre 1988) et du DC10 de l’UTA (19 septembre 1989) qui avaient causé la mort de 270 et 170 personnes respectivement. Le pétrole servait aussi à développer un programme nucléaire. Pour ces raisons, la Libye a été mise sous embargo aérien et militaire en 1992. Si Mouammar Kadhai est rentré dans la «légalité» internationale, c’est qu’il avait pris peur après l’intervention militaire américaine en Irak. Il a vu de ses propres yeux que les dictateurs pouvaient être capturés, fouillés de manière humiliante et étêtés. C’est alors qu’il a commencé à donner des signes d’allégeance aux pays occidentaux, leur faisant miroiter les milliards des réserves pétrolières dont dispose son pays. A proprement parler, Mouammar Kadhafi n’aurait pas voulu en arriver là. Il croyait à «sa révolution» et à «son livre vert». Il croyait que d’autres peuples en seraient preneurs. Il a tout essayé ou presque et toutes ses tentatives d’alliances avec ses voisins ont échoué. Même en matière de terrorisme, il a été pris en flagrant délit. Il a dû payer près de 2,7 milliards de dollars pour indemniser les victimes de Lockerbie sans arriver à empêcher l’emprisonnement de son agent Ali Megrahi, récemment libéré de la prison écossaise où il purgeait une peine à vie. Le «guide» libyen s’est enfin rendu compte qu’il ne pouvait rien faire et que son influence ne pouvait dépasser ses sujets libyens. Mais il allait se venger. Puisque la révolution ne s’est pas exportée, il allait user d’un autre argument beaucoup plus puissant puisqu’il constitue un langage universel : l’argent du pétrole. C’est ainsi qu’il a pu humilier la confédération suisse, un pays pourtant très respecté. C’est ainsi qu’il s’est fait «respecter» par la France qui avait pu «libérer» les infirmières bulgares, gratuitement, alors que les médias ont parlé d’une rançon de 25 millions de dollars. Le Libyen tient les gouvernements par là où cela fait très mal, la bourse. Il a tout fait de «son» argent, sauf une chose, bâtir un grand pays. La Libye est toujours après 40 ans de pétrole, un pays arriéré qui, comble de l’ironie, doit demander à l’Italie de lui construire une autoroute, comme compensation des années d’occupation. L’Italie a obtempéré et Silvio Berlusconi, président du conseil est allé se réconcilier avec le chef. Il a même reconnu avoir baisé la main du fils du héros Omar El Mokhtar, le grand résistant. Choses incroyables il y a seulement quelques années. Tout le monde oublie le passé terroriste de Mouammar Kadhafi. Oubliant également le manque absolu de droits de l’homme dans le pays. Tant que le pétrole coule… Le plus amusant c’est que le colonel ne fait pas du chantage pétrolier pour des principes ou dans le cadre d’une stratégie politique. Il le fait le plus souvent pour des questions familiales, comme dans le cas suisse. Le pays helvétique a dû s’excuser d’avoir laissé la police faire son travail selon les lois suisses et arrêter le fils coupable de mauvais traitements envers ses employés. En somme, la Suisse s’est excusée d’être démocratique. Si l’argent du pétrole n’a pas servi au développement de la Libye, il a au moins servi à imposer le meneur du coup d’Etat de 1969. Et dire qu’ici au Maroc, les tribunaux ont condamné des journaux pour avoir leur travail, et là aussi pour avoir défendu la démocratie. Avec les pétrodollars, Kadhafi a pu même imposer un style vestimentaire pour le moins excentrique. Tout le monde a relevé son accoutrement lorsqu’il a rendu visite à son «ami» Berlusconi en Italie, arborant la photo, dans son cadre, de Omar El Mokhtar. Seuls les Américains semblent insensibles pour le moment aux charmes sonnants du colonel. Ils lui ont refusé de planter sa tente à New York. L’argent ne passe pas partout. Malgré sa richesse, la Libye n’a rien pu faire. Personne ne croit vraiment que les dirigeants occidentaux respectent le «guide». Ils le tolèrent à cause de ses milliards. Le cumul des recettes pétrolières entre 1978 à 2008 a atteint 500 milliards de dollars. Le fonds souverain Libyan investment authority gère des réserves et des placements de 136 milliards de dollars (2008). Et pourtant, la Libye est restée un pays très peu équipé, très peu développée. Le seul investissement intéressant est peut-être le grand fleuve de 3600 Km qui a coûté près de 30 milliards de dollars. Il déplacera pas moins de 6 millions de m3 d’eau du désert vers les villes et les régions du Nord. A part cela, les autres grandes dépenses ont concerné l’armement. Il est vrai que le bédouin le plus drôle du monde ne montre rien de sa richesse mais ses enfants montrent bien qu’ils sont immensément riches. En quarante ans, la famille a beaucoup gagné. Le peuple attendra.

Kadhafi-Europe
Pétrole contre crédibilité

Mohamed Semlali

Le premier septembre 1969, le paisible royaume libyen sous la conduite du vieux et pacifique roi Idriss 1er, est le théâtre d’un coup d’Etat mené par des jeunes officiers de l’armée. Le putsch contre la monarchie est piloté par un jeune capitaine du nom de Mouammar Kadhafi. Celui-ci est impressionné par le modèle de Jamal Abdelnasser qu’il ambitionne de dupliquer chez lui. Il commence par se hisser au grade de colonnel et par abolir la monarchie. La suite ne sera plus qu’une succession de coups de théâtre.

Mouammar Kadhafi s’essaya tour à tour au panarabisme et au socialisme arabe. En 1977, il provoque un grand chaos et dissout tous les appareils de l’Etat et les remplace par les énigmatiques et brouillons «comités révolutionnaires». Il réussit la prouesse de tout casser en Libye. L’élite intellectuelle et économique quitte le pays et la peur s’installe petit à petit. Les agents du régime verrouillent les arcanes du pouvoir. Kadhafi quitte les habits de « révolutionnaire » pour ceux d’un chef de clan. Les purges se succèdent au sein de ceux qui ont fait un bout de chemin avec lui. Le jeune militaire plutôt séduisant et sur lequel le tiers-monde fondait beaucoup d’espoir se mue rapidement en un dictateur excentrique. Il écrit son livre vert en référence au petit livre rouge de Mao Ze Dong. Toute la république se peint en vert alors que les partis politiques et même toute activité de nature politique sont bannis.

Mais là où le colonel fait encore plus fort, c’est dans les relations internationales. Kadhafi veut établir l’union des peuples arabes coûte que coûte. Il commence par l’Egypte et la Syrie. L’échec est total sur les deux fronts. La tentative d’union avec la Tunisie vire quant à elle à l’affrontement militaire. Le colonel ne baisse pas les bras. Il veut aider tous les «révolutionnaires» du monde. Il soutient les fractions palestiniennes rivales. S’ensuit alors une vague d’attentats où les services libyens sont largement impliqués. Après l’attentat de Berlin, de Lockerbie et de l’avion français d’UTA, la Libye est mise au ban des nations et le guide de la révolution devient infréquentable. L’ONU décrète un embargo contre la Jamahiriya qui voit son économie s’effondrer. Kadhafi ronge son frein et quand il voit les Etats-Unis d’Amérique s’attaquer victorieusement au régime irakien de Saddam Hussein, il décide de capituler. Il propose alors des dédommagements aux familles des victimes américaines et britanniques. En 1999, il livre deux des grands pontes de son régime à la justice écossaise. Mais le guide de la révolution n’est pas au bout de ses peines. En 2003, les images de la capture et de la pendaison de Saddam Hussein le bouleversent. Il renonce officiellement et publiquement aux armes de destruction massive.

C’est alors qu’il redevient peu à peu fréquentable. La conjoncture lui vient en aide. Les prix du pétrole s’envolent et la Libye est à la tête d’un joli pactole d’une centaine de milliards de dollars. Les pays occidentaux alléchés par de possibles contrats juteux font la file à Tripoli. Le «guide» retrouve un semblant de crédibilité. Avec l’argent du peuple libyen qui est l’un des plus pauvres du monde arabe, malgré la richesse de la Jamahiriya, le colonel achète la complaisance des dirigeants européens qui multiplient les renoncements et ferment les yeux sur la nature du régime libyen et sur les frasques de ses enfants.

Aujourd’hui, le retour en grâce de la Jamahiriya dans le concert des nations n’est motivé ni par une quelconque démocratisation du régime ni par un changement dans le comportement. L’Occident se fait aveugle et range dans les tiroirs ses exigences démocratiques. Si la Libye regagne un peu de crédibilité, l’Europe en perd beaucoup.