Bouchra Ijork en a fait un documentaire, Rahal Meskini, Abdelhak Achik, Lahcen Zinoun ou encore Nass El Ghiwan en sont issus ; Hay Mohammedi nourrit autant les fantasmes que les success-story. Rares sont pourtant les études qui portent sur le quartier. Pour Najib Taqui, professeur d’histoire à la faculté de Ain Chok et historien spécialisé dans Hay Mohammedi, «c’était un quartier particulier pour Mohammed V qui était surnommé «le Sultan des Carrières» par les Français. En novembre 1956, le premier gouverneur de Casablanca, Ahmed Bargach a été envoyé par le Sultan lui-même afin de changer le nom du quartier de «Carrière Centrale» en Hay Mohammedi».
C’est pourtant la prison de Derb Moulay Cherif qui a fait définitivement entrer Hay Mohammedi dans l’Histoire du Maroc. Les années de plomb ont laissé leurs traces sur ce quartier qui, avec sept autres provinces – Ouarzazate, Errachidia, Zagora, Figuig, Nador, Al Hoceima, Khénifra –, est bénéficiaire du «programme d’appui aux actions de réparation en faveur des régions touchées par les violations des droits de l’homme». Ce projet, piloté par le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) et exécuté par la Fondation CDG, fait suite aux recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER). Les principales recommandations de l’IER sont la nécessaire reconnaissance par l’Etat des violations passées à travers un travail de mémoire, ainsi que la réalisation de projets sociaux pour aider les populations ayant souffert durant les années de plomb. Ainsi si la réparation des souffrances vécues entre 1956 et 1999 peut s’effectuer au niveau individuel – certaines des victimes ont pu avoir droit, entre autres, à une indemnisation financière –, la réparation communautaire s’adresse à des groupes de population qui ont eu à souffrir de la proximité d’un centre de détention, ce qui est le cas des habitants de Hay Mohammedi.
Bilan à mi-parcours
Le CCDH a abrité ce vendredi 17 juillet 2009 un séminaire d’évaluation de ce programme d’appui à la réparation communautaire. Cette évaluation intervient à mi parcours de ce programme de 4 ans dont la convention a été signée avec l’Union européenne en juillet 2007. Pour son président, Ahmed Herzenni, «ce séminaire va nous permettre d’évaluer les forces et les faiblesses de ce travail. Pour l’instant, nous n’avons que des évaluations locales-par le retour des associations qui sont porteuses des projets – ou extérieures-par l’Union européenne par exemple qui est l’un des principaux bailleurs de fonds. Nous allons donc nous appliquer à élaborer une évaluation nationale de ce programme, qui est un des plus réussis du CCDH». Explication par les chiffres pour Mohammed Grine, président délégué de l’Institut CDG et de la fondation CDG : «la première tranche du programme a touché 8 provinces, et 32 projets sur 91 présentés ont reçus notre validation, pour un montant de 14 millions de dirhams de financement. Le deuxième appel à proposition – dont les sélections seront terminées en octobre-a vu l’implication de 11 provinces et 230 demandes ont été présentées pour un total de 30 millions de dirhams de demande de financement.»
La réparation communautaire commence donc à porter ses fruits puisque «toute la philosophie du programme de réparation communautaire est de libérer les initiatives et de laisser place aux acteurs locaux pour participer au développement de leurs régions», dixit le CCDH. Tout est donc entre les mains des associations qui se battent au quotidien pour leur quartier. Et sur le terrain, c’est la question des moyens financiers qui inquiète. En effet, 10% du financement – à hauteur maximale de 500.000 dirhams par projet sont à la charge des associations qui se doivent de trouver des sponsors. Pour Hay Mohammedi, les projets sont financés en majeure partie par l’Union européenne. C’est un des cas de figure du financement de la réparation communautaire (via les associations locales et la coopération internationale) mais certains projets peuvent être financés par les collectivités rurales, ou encore par des ministères qui peuvent prendre la décision de réhabiliter certains bâtiments, comme ce pourrait être le cas avec la prison de Derb Moulay Cherif. D’après Ahmed Zainabi, chargé du programme de réparation communautaire au CCDH, c’est plus la complexité du milieu urbain qui différencie Hay Mohammedi des 7 autres régions dans lesquelles des projets sont en cours. «Hay Mohammedi est la seule localité urbaine de ce projet, ce qui rend plus difficile l’évaluation de l’impact des actions menées. Les résultats sont plus laborieux parce que le milieu urbain est plus dense et que les actions de réparation communautaire se mêlent à d’autres actions.»
Des association actives
Le quartier s’inscrit pourtant dans la moyenne nationale en termes de nombre de projets proposés – et retenus – avec deux projets menés par l’association Casamémoire et un autre par un groupement d’associations à la tête duquel se trouve Initiatives urbaines. Casamémoire travaille à l’élaboration d’un documentaire de 26 minutes ainsi qu’à autre un projet intitulé «Traces d’espace» qui correspond à l’expertise de l’association. «Ce deuxième projet est consacré aux lieux de mémoire de Hay Mohammedi. Il y en a au moins une vingtaine ; même si nous sommes un peu spécialisés dans ce type de projet, nous ne connaissons pas encore très bien le quartier. Nous aimerions impliquer les gamins de Hay Mohammedi dans la mise en place de plaques signalétiques. Ce serait un prétexte pour qu’ils se renseignent sur l’histoire de leur quartier» explique Abderahim Kassou, président de l’Association.
Initiatives urbaines, avec la Guilde, Remep et l’association Choualla, a quant à elle un projet intitulé «Mémoire et dignité» qui consiste en une recherche de témoignages des habitants du quartier, qui seront publiés dans un livre, ainsi qu’en des cafés-mémoire, initiative novatrice qui permet de faire parler les gens de leur vécu-et à travers cela de leur histoire commune – dans un cadre convivial. Le directeur d’Initiatives urbaines, Abdeljalil Bakkar, raconte : «L’idée est née d’une discussion entre des étudiants – issus du quartier – et leurs professeurs du programme d’action sociale de l’Université de Mohammedia. C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur étant donné que je suis moi-même de Hay Mohammedi et que les activités de mon association sont toutes vouées à aider les jeunes du quartier». Cet homme, pour qui le renouveau du quartier ne saurait venir autrement que par les associations, dirige deux centres dans Hay Mohammedi, un de langues et communication en partenariat avec la Fondation Mohamed V et un autre plus axé sur la musique et le théâtre. Dans les deux cas, en plus de tarifs extrêmement abordables, un accompagnement et un suivi en termes d’orientation professionnelle est proposé aux élèves. Son émotion perce à travers ses propos : «Je veux donner une identité claire à mon quartier. Hay Mohammedi est ghettoïsé depuis les émeutes de 1981, c’est une cité-dortoir. Est-ce que vous vous rendez-compte que nous sommes 156.000 habitants sur 3km2 ?! Je voudrais en faire une cité touristique, je voudrais que les habitants cessent de vouloir quitter le quartier à cause de l’insécurité. Il y a tellement à faire. La réparation communautaire est un début, mais ce n’est pas suffisant. Depuis les années de plomb, le quartier n’a cessé de se dégrader…»
Ils étaient tous là pourtant, les oulds derb, ce samedi 18 juillet dans les Anciens Abattoirs de Casablanca. Jeunes, moins jeunes, familles, amis, commerçants, flics ou simples curieux, tous sont venus pour ce premier café-mémoire. Même si l’inexpérience des organisateurs s’est fait ressentir, la glace a été brisée. Tous on parlé de leur vécu autour du thème des Gnawas, sujet choisi pour cette première édition. Tous se sont pris au jeu de la mémoire dans lbatoirs qui a résonné toute la soirée des échos de leurs souvenirs.