Selon un sondage de l’Ifop pour Le Figaro, publié le 7 février, les personnes interrogées s’inquičtent d’une crise générale de l’autorité dans les banlieues. Les explications données par les sondés sont la démission des parents, le trafic de drogue, le chômage des jeunes. Les défaillances du systčme éducatif, les discriminations, les tensions avec la police, le manque de mixité sociale et les conditions de logement ainsi que l’urbanisme arrivent bien aprčs. Cette enquęte, menée au niveau national, est ŕ suivre. Frappante est en effet la lucidité avec laquelle les sondés analysent, dans leur inventaire des principaux facteurs de crise, le scénario qui a conduit ŕ la dégradation des banlieues. L’histoire de cette dégradation est celle des fautes commises par l’État, plutôt que celle de la prétendue faillite d’un Ť modčle ť. Elle justifie pleinement les grandes orientations retenues par le plan banlieues du gouvernement, qu’il est trop facile de juger limité, sous prétexte qu’il prend les problčmes ŕ résoudre dans l’ordre logique oů ils sont apparus. La démission des parents, placée en tęte du sondage, est intervenue trčs tôt, dans les grandes barres construites de façon précipitée au début des années 1960 pour faire face ŕ l’afflux de l’exode des Français d’Algérie, ignoré jusqu’au dernier moment avec un aveuglement dont, par ce biais imprévu, nous payons aujourd’hui encore la facture. Ŕ mesure que les pieds-noirs retrouvaient le chemin de l’ascension sociale ŕ la faveur des Trente Glorieuses, les travailleurs immigrés appelés par l’expansion industrielle ont pris leur place, au prix d’une désintégration des familles relevée, peu aprčs, par les enquętes pionničres de Christian Jelen. Le Conseil d’État et le législateur ont répondu ŕ ce problčme en mettant en place une politique de regroupement familial dans un climat d’improvisation d’autant plus grand que la thčse qui prévalait, jusqu’au milieu des années 1980, reposait sur la certitude d’un retour rapide de la plupart des immigrés dans leur pays d’origine. La crise économique et le chômage ont marqué la seconde étape de l’engrenage. Le plus souvent, ou le pčre s’épuisait ŕ la tâche, ou il perdait son emploi : dans tous les cas, son absence concrčte ou symbolique avait des incidences graves sur l’état d’esprit de populations ŕ forte tradition patriarcale. Sans que le rythme de l’immigration en ait été pour autant dissuadé par une politique d’assistance généreuse. Les conditions de vie marginalisées ainsi entretenues ont encouragé le développement d’une économie parallčle, qui a gagné des secteurs urbains entiers, avec pour résultat, notamment dans les zones d’éducation prioritaires, un climat de désintéręt pour le travail, d’hostilité au pays d’accueil et de vulnérabilité aux idéologies intégristes. En sorte que c’est un enchaînement diabolique de causalités aggravées au fil de plus de quatre décennies qu’il faut ŕ présent remonter. Il s’agit lŕ d’une spécificité française, issue de notre passé colonial, et trčs différente de la maničre dont le problčme de l’immigration se présente chez nos principaux voisins. Ŕ certains égards, cette spécificité nous pénalise, dans la mesure oů il est tentant de considérer que la persistance de la crise des banlieues sur une aussi longue durée signe l’échec de nos principes d’intégration républicaine, d’oů viendrait tout le mal. Cette spécificité, ŕ d’autres égards, est une force, dans la mesure oů les Français d’origine immigrée ont reçu de la République les principes et les valeurs qui leur ont permis hier de s’affranchir de sa tutelle et qu’ils invoquent aujourd’hui contre elle. Cette force apparaît ŕ l’évidence, quand on considčre la situation de nos voisins, qui n’ont pas la męme histoire et qui ne parviennent pas ŕ maîtriser une dérive vers le multiculturalisme, dont vient de témoigner la déclaration récente de l’archevęque de Canterbury, Rowan Williams, concluant, avec un naturel désarmant, de l’évolution actuelle de la société britannique, ŕ la nécessité d’adapter la Common Law aux procédures de la charia. Ŕ ceux qui inclinent au pessimisme qu’on ne peut exclure, tant est rapide, la mondialisation aidant, la montée des frustrations et des ressentiments , on ne saurait assez conseiller de lire les témoignages de promus de la République que sont Rachida Dati, Rama Yade, Fadela Amara. Si une meilleure péréquation des ressources locales demeure souhaitable, l’expérience montrait récemment encore, ŕ Villiers-le-Bel, et le sondage de l’Ifop confirme que, pour ętre nécessaires, les plans de rénovation urbaine, les efforts d’équipement, les subventions resteront lettres mortes aussi longtemps que les principes d’égalité devant le droit, de sanction, de laďcité et de méritocratie (appliqués aux instituteurs, aux juges, aux policiers et aux travailleurs sociaux autant qu’aux élčves !) seront considérés comme des principes sans nuances, inaptes ŕ dégager, dans les banlieues, des élites qui seront pourtant, demain, les seules capables de protéger les générations montantes contre les entreprises de ceux qui exploitent, au bénéfice de leurs affaires et de leur fanatisme, la fragilité de Ť parents trop pieux ť et de Ť gamins trop naďfs ť.
|
||
|
||
Obscénité franco-tchadienne | ||
Idriss Déby a pris le pouvoir par les armes en décembre 1990. Il venait de Libye et du Darfour et avait bénéficié de l’aide militaire française pour chasser Hissčne Habré, devenu embarrassant. Il a persisté dans son ętre présidentiel jusqu’ŕ aujourd’hui ŕ grand renfort de combats, de répression, de fraudes électorales, de manipulations constitutionnelles. Pillant sans ambages les ressources de l’économie nationale, bafouant les accords signés avec la Banque mondiale quant ŕ l’utilisation de la rente pétroličre, impliqué dans la contrebande avec l’Arabie saoudite, spéculant contre sa propre monnaie ŕ l’approche de la dévaluation du franc CFA, en janvier 1994, grâce aux informations dont il bénéficiait en sa qualité de chef d’Etat, éclaboussé par un trafic de faux dinars de Bahreďn, il a néanmoins joui du « soutien sans faille » de la part de la France. Les rebelles qui veulent maintenant le renverser sont eux-męmes issus de son entourage et ont donc longtemps bénéficié des sollicitudes de Paris avant de trahir un maître désormais moins partageux. Nicolas Sarkozy a doublé la mise. Au risque de finir de s’aliéner ses partenaires européens qui déjŕ redoutaient le dévoiement de la force européenne (Eufor), il a engagé dans les combats des officiers d’état-major, le 1er février, et des éléments du commandement des opérations spéciales (COS), le 2. Il a ensuite livré des armes le 4 février via la Libye, dont le dirigeant avait été reçu en décembre 2007 ŕ Paris avec les égards que l’on sait. Le 6 février, le ministre de la défense, Hervé Morin, s’est rendu ŕ N’Djamena pour réitérer le « soutien sans faille » de la France au président Déby, et, pour que chacun comprenne le message, il s’est fait photographier l’oeil dans le viseur d’une arme automatique. A quelques mois de la présidence française de l’UE, le coűt diplomatique de ce choix sera élevé. Politiquement, et sans doute militairement, il sera payé en pure perte puisque le régime tchadien est exsangue et n’est plus qu’un miraculé du COS. Tôt ou tard, il sera remplacé par l’un de ses clones, avec ou sans l’aide du Soudan. Les livraisons d’armes nourriront la reprise de la guerre dans l’est du Tchad et au Darfour, voire en Centrafrique. Jusque-lŕ, cette politique absurde reste dans la continuité des années 1990-2000. L’habillage onusien ex-poste de l’intervention française ne constitue pas non plus une rupture, quoi qu’en dise l’Elysée. Jacques Chirac et Dominique de Villepin étaient déjŕ parvenus ŕ vętir de la sorte l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire, quelques semaines aprčs son déclenchement. Non, la vraie rupture est ailleurs : dans la pornographie de la mise en scčne, inédite dans une « Françafrique » qui pourtant n’a jamais été bégueule en la matičre. Pour tenir sa promesse vantarde d’arracher aux griffes de la justice nčgre L’Arche de Zoé, Nicolas Sarkozy a, dans les faits, troqué la grâce de six criminels humanitaires français contre l’arrestation musclée des quatre principaux leaders de l’opposition légale tchadienne, signataires de l' »accord politique global visant ŕ renforcer le processus démocratique », paraphé le 14 aoűt sous les auspices de l’Union européenne. Certes, Hervé Morin a dit vouloir se préoccuper de ceux-ci dčs que la situation le permettrait. Mais deux, quatre, huit jours ŕ 220 volts, sous le fouet ou en balançoire, c’est long, monsieur le ministre. Si tant est que ces hommes soient toujours vivants. Et sans parler de leurs militants, raflés dans les quartiers de N’Djamena, emprisonnés, torturés, voire exécutés, dans les heures et les jours qui ont suivi le miracle du COS. Paris n’a pas su, ou pas voulu, monnayer son intervention contre le respect du pluralisme et des droits de l’homme. Le ton martial du président Déby indique que la chasse aux démocrates (et non seulement aux rebelles) est ouverte. Son cynisme laisse présager le pire : « Je ne m’occupe pas du tout de ces détails que nous verrons plus tard », a-t-il déclaré ŕ propos des quatre disparus. Tout comme Juvénal Habyarimana aprčs l’offensive du Front patriotique rwandais en octobre 1990, il a utilisé et continuera d’instrumentaliser l’attaque militaire dont il a été l’objet pour se retourner contre l’opposition légale avec la caution de la France et pour mettre hors d’état de nuire les mouvements qui auraient pu contribuer ŕ une sortie politique du conflit armé. Sur le terrain, les troupes françaises collaboreront avec des homologues tchadiens coupables d’assassinats politiques, comme au Rwanda quinze ans auparavant, męme si les deux situations ne sont en rien comparables. A l’Europe, il est signifié ce que valent ses auspices, et celle-ci, au demeurant, se couche. Le plus sordide reste ŕ venir sur nos écrans de télévision. La grande joie de la nation saluant la libération de ses humanitaires égarés, mais trop injustement punis par la justice nčgre, occultera définitivement le sauvetage militaire d’un pouvoir prédateur et meurtrier au prix de l’annihilation de son opposition légale. Le discours de Nicolas Sarkozy sur l’Afrique, depuis son élection, nous a préparés ŕ cette arithmétique : six coupables blancs valent quatre innocents noirs, et le sort de centaines de victimes anonymes envoyées ad patres par des munitions françaises est un non-événement puisque les médias l’ont tu et que ces morts n’appartiennent pas ŕ l’histoire. Obscčne. Néanmoins, cette obscénité n’est pas qu’une faute de goűt de la part d’un président qui décidément n’en a gučre. Annoncée par le discours de Dakar et par le mépris affiché ŕ l’endroit de la justice tchadienne, elle entachera définitivement son action au sud du Sahara pour le restant de sa carričre politique. Elle souille la compétence et le dévouement des serviteurs de l’Etat qui vaille que vaille oeuvrent aux relations franco-africaines dans un contexte difficile. Elle compromet le travail et la sécurité des entreprises et des ONG de notre pays, qui sont actives sur le continent. Elle plonge dans la honte et la colčre les Français et les Africains qui se font une autre idée de la République et hésitent désormais ŕ se regarder dans les yeux. Jean-François Bayart
|
||
|
||
L’Inde écartelée entre Chine et Amérique | ||
Le président français Nicolas Sarkozy devait achever samedi 26 janvier ŕ New Delhi une visite d’Etat destinée ŕ manifester le soutien politique de la France ŕ l’Inde, nation émergente plus en plus courtisée dans l’arčne internationale. L’intéręt de Paris pour ce nouveau géant asiatique en plein essor bien que soufrant de multiples fractures sociales est louable et nécessaire. L’Inde apprécie assurément l’engagement français de soutenir sa candidature au statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais penser que New Delhi ait les yeux rivés sur les gestes de bonne volonté émanant de Paris serait aussi présomptueux qu’illusoire. Il n’est que de constater la lenteur avec laquelle les Indiens réagissent aux offres de services françaises dans la coopération nucléaire civile subordonnées ŕ leurs yeux ŕ la mise en oeuvre d’un accord autrement plus ambitieux avec les Etats- Unis pour comprendre oů se situent leurs priorités stratégiques. Celles-ci se focalisent trčs clairement autour de deux acteurs du jeu asiatique : les Etats-Unis et la Chine. L’équation géopolitique dans laquelle s’inscrit désormais l’Inde est au fond assez simple : comment engranger les bienfaits d’une fraîche connivence avec Washington sans pour autant effaroucher une Chine dont le » modčle » de réussite tétanise bien des esprits ŕ NewDelhi. La diplomatie indienne est mobilisée ŕ plein régime pour établir cette équidistance. La lune de miel entre l’Inde et les Etats-Unis est sans nul doute l’événement majeur survenu en Asie ces derničres années. Quand on se souvient de l’axe Inde/URSS qui, ŕ l’époque de la guerre froide, répondait au tandem rival Pakistan/Etats- Unis, on mesure le glissement de terrain. Ce sont les Américains, plus que les Indiens, qui ont été les plus empressés ŕ sceller cette nouvelle donne. A la fin des années 1990, les stratčges américains prennent conscience de tout l’intéręt ŕ se rapprocher d’une Inde qui, au-delŕ de sa fidélité ŕ la démocratie et de son séduisant potentiel économique, partage les préoccupations de Washington ŕ l’égard du terrorisme islamiste et de la montée en puissance de la Chine. Signe que les Etats-Unis sont animés des meilleures intentions, ils ne tiendront pas trop rigueur ŕ New Delhi de sa série d’essais nucléaires, qui jette un coup de froid sur les relations internationales en 1998. Mieux, ils signent en 2006 un accord de coopération nucléaire civile avec l’Inde, un geste exceptionnel puisque celle-ci n’est pas signataire du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Bien sűr, les intéręts des deux pays sont loin de converger sur tous les dossiers. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Washington a été contraint de remettre au goűt du jour sa proximité historique avec le Pakistan, Etat » ligne de front » indispensable dans la lutte antiterroriste qui se joue en Afghanistan et ŕ proximité. Quant ŕ l’Inde, elle cultive une relation fort amicale avec l’Iran généreux fournisseur de pétrole qui soulčve des sourcils désapprobateurs ŕ la Maison Blanche. Mais, fait remarquable, ces forces centrifuges ont échoué ŕ torpiller le rapprochement en cours. C’est qu’ŕ New Delhi, le lobby proaméricain a gagné en influence. La libéralisation économique a enfanté une classe moyenne qui, bien que nationaliste, est pressée de s’arracher aux vieilles lunes de l’čre Nehru-Gandhi, marquée par le tiers-mondisme ŕ coloration antiaméricaine. La diaspora indienne aux Etats-Unis joue un rôle actif dans cet aggiornamento idéologique. L’inquiétude de la poussée chinoise le conforte. Il n’est pas indifférent que les nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), au pouvoir en 1998, aient expressément cité la Chine parmi les » menaces » qui justifiaient leurs essais nucléaires. La » tentation américaine » La méfiance ŕ l’égard de Pékin reste vive en Inde, oů l’on vit encore dans le souvenir de l’humiliante défaite subie lors de la guerre de 1962. Alors que le litige frontalier au coeur de l’Himalaya, lŕ oů les deux géants se touchent, n’est toujours pas réglé, l’Inde voit d’un oeil soupçonneux l’activisme diplomatique, militaire et économique de la Chine dans son voisinage immédiat (Pakistan, Birmanie, Bangladesh, Népal, Sri-Lanka). Elle s’inquičte tout particuličrement de la construction par la Chine du port pakistanais de Gwadar, en bord de mer d’Arabie, qui s’inscrit dans l’arc stratégique en » collier de perles » que la Chine cherche ŕ édifier du golfe Persique ŕ sa façade Pacifique afin de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. En réaction, New Delhi renforce sa présence navale dans l’océan Indien, zone vitale ŕ ses yeux. Et ne dédaigne pas de s’associer ŕ des manoeuvres militaires conjointes avec des pays comme les Etats-Unis, le Japon ou l’Australie, qui tiennent depuis peu un discours sur la » diplomatie des valeurs » (sous-entendu la démocratie), soit une petite musique qui grince sévčrement aux oreilles chinoises. La » tentation américaine » travaille donc les cercles stratégiques de New Delhi. Mais l’erreur consisterait ŕ oublier un peu hâtivement l’héritage diplomatique indien, oů le non-alignement et l’obsession de l' » autonomie stratégique » sont des articles de foi. Si la défiance ŕ l’égard de Pékin est profonde, l’allergie ŕ toute manipulation américaine, ŕ toute forme d’enrôlement au service d’une stratégie d' » endiguement » antichinois, l’est tout autant. New Delhi ne veut sűrement pas ętre aspiré dans l’escalade d’un conflit avec Pékin par le jeu mécanique d’une nouvelle alliance avec Washington. Cette crainte d’ętre instrumentalisé par une superpuissance explique l’hostilité ŕ laquelle s’est heurté ces derniers mois l’accord de coopération nucléaire civile indo-américain qui, pourtant, accorde des faveurs dérogatoires ŕ New Delhi. Les communistes, membres de la coalition au pouvoir dirigée par le Parti du Congrčs, exploitent ce malaise et font peser la menace d’une crise politique si l’accord devait entrer en application. Le vent a comme tourné. Le sentiment prévaut que l’aggiornamento est allé trop loin. Au point que le gouvernement congressiste de New Delhi doit refroidir son inclination proaméricaine. Sonia Gandhi, présidente du Parti du Congrčs, et Manmohan Singh, premier ministre, se sont rendus ces derniers mois ŕ Pékin pour rassurer la Chine. La ligne de l’équidistance triomphe. Les « fondamentaux » sont de retour. Le ręve indien des Américains risque-t-il d’en souffrir ? Vraisemblablement. Frédéric Bobin
|
||
|
||
M. Sarkozy, la laďcité et la « religion civile » | ||
Quelle « laďcité » pour l’Europe du XXIe sičcle ? La laďcité est-elle encore armée pour affronter des défis comme le multiculturalisme, la menace intégriste ou le besoin de repčres solides face aux interrogations sur la bioéthique, la naissance ou la mort ? Est-elle un concept dépassé, la ponctuation de querelles archaďques ou un idéal encore assez mobilisateur, fédérateur, une ligne d’horizon capable de délimiter, d’affronter les défis de demain et inspirer pour de bon les rapports entre Etats et religions ? Le débat sur la place des religions dans la société démocratique redevient explosif en Europe. Avec sa foi chrétienne déclinante, des minorités musulmane et hindoue vivantes, la Grande-Bretagne se perçoit déjŕ comme une société multiconfessionnelle. Mais en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, l’intégration de la minorité musulmane suscite toujours autant de tensions. En Espagne, en Italie, les catholiques mčnent l’offensive contre des évolutions de moeurs perçues dans la société comme des droits nouveaux (euthanasie, unions homosexuelles, etc.). A Madrid, ils manifestent dans les rues. A Rome, un fait inouď vient de se produire : devant une menace de manifestation « laďque » ŕ la vieille université de la Sapienza oů il devait prononcer un discours, le pape Benoît XVI a décidé de rester chez lui. Un tabou a sauté – la liberté de parole du pape – qui a mis en émoi le monde politique et l’Eglise. Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy a prononcé deux discours, ŕ la basilique du Latran ŕ Rome le 20 décembre 2007 et ŕ Riyad le 14 janvier, qui proposent une vision de la laďcité assez différente de celle qui avait fini par s’imposer en France aprčs un sičcle de crises. Depuis, certains prętent au président français des intentions « concordatrices », dans la lignée d’un Napoléon qui avait une vision plutôt politique et cynique de la religion : « Comment avoir de l’ordre dans un Etat sans religion ? La société ne peut exister sans l’inégalité des fortunes et l’inégalité des fortunes ne peut subsister sans la religion », écrivait-il en 1801, l’année du concordat signé avec Pie VII, destiné ŕ rétablir la paix civile et religieuse aprčs la Révolution. On le dit également issu de la vieille droite maurrassienne. Charles Maurras (1868-1962) était un agnostique admiratif de l’oeuvre civilisatrice de l’Eglise catholique, comptable des rancoeurs accumulées par la laďcisation et la séparation. Pour lui aussi, la religion seule assure le salut public et l’ordre. « La religion étant attaquée sur le terrain politique, il faut la défendre politiquement », écrivait-il en 1912 dans Politique religieuse. Mais Maurras était surtout un antirépublicain et la comparaison avec M. Sarkozy est absurde. L’inspiration peut-ętre la moins contestable est celle qui pręte ŕ M. Sarkozy un ręve de « religion civile » ŕ l’américaine. La Constitution des Etats-Unis sépare nettement la religion de l’Etat, mais une « religion civile » existe bien, qui exclut toute suprématie confessionnelle, mais place sans complexe la religion au coeur de sa sphčre publique. C’est ŕ ce titre que le président élu pręte serment sur la Bible ou, dans un autre genre, au nom d’une liberté de religion sans restriction, que l’Eglise de scientologie a droit de cité. M. Sarkozy a répété qu’il ne toucherait pas « substantiellement » ŕ la loi de séparation de 1905. Celle-ci reste d’autant plus la boussole que, depuis, l’islam s’est installé et que la France n’est ŕ l’abri ni de tensions islamistes ni d’un évangélisme devenu agressif. Mais il veut en finir pour de bon avec « la guerre des deux France » (cléricale et laďque), avec l’hypocrisie qui régit les rapports entre les religions et l’Etat, officiellement séparés mais unis par de nombreux liens et compromis. Il veut passer de l’ignorance officielle ŕ la reconnaissance du « fait religieux » dans ses dimensions historique et culturelle. Pour lui, on peut d’autant moins réduire la religion au simple « espace privé » que des demandes spirituelles existent qu’il ne serait ni juste ni réaliste d’ignorer. RECONSTITUTION DE L’HISTOIRE C’est la męme « Realpolitik » qui l’a conduit ŕ Riyad, capitale du wahhabisme – la version la plus radicale de l’islam – ŕ invoquer ŕ 13 reprises le nom de Dieu, avant de faire un éloge, appuyé mais tardif, de la « diversité » des religions, ce qui était le moins dans la théocratie saoudienne. Une « politique de civilisation » n’aurait aucune chance d’aboutir, en effet, si la dimension religieuse de l’homme n’était pas respectée, si le jeu des forces confessionnelles dans le monde était ignoré, si la tolérance n’était mise au coeur du projet. Le procčs de « communautarisme » déjŕ intenté ŕ M. Sarkozy semble prématuré. Sa volonté d’apaisement des querelles religieuses n’est pas contestable, mais son expression est maladroite. Affirmer ŕ Riyad que « Dieu est au coeur de chaque homme » est une option philosophique, étonnante de la part du chef d’un Etat laďque. Etonnante aussi, pour les historiens, la vision unilatérale de l’histoire de la laďcité qu’il a développée dans son discours de Latran. M. Sarkozy n’y retient que l’héritage positif de l’oeuvre de l’Eglise et l’héritage négatif de la contestation laďque. Mettre sur le męme plan le rôle du « curé » et de l’instituteur dans l’éducation des masses ne résiste pas ŕ l’examen historique. Non plus que le fait d’ériger l’Eglise, dans les luttes de séparation, comme la seule victime et martyre, faisant passer la laďcité au mieux pour une « cruauté gratuite », comme dit l’historien Jean Baubérot. Cette reconstitution de l’histoire ni ressemble ni ŕ la vérité ni ŕ l’équité. L’erreur de M. Sarkozy est de confondre la laďcité et la sécularisation des moeurs, des comportements, des idées. C’est l’erreur que commettent aussi, ŕ leur maničre, les épiscopats espagnol et italien inscrivant sur le compte d’offensives laďques l’affaiblissement de la mémoire chrétienne, le déclin des pratiques religieuses, l’enlisement de la foi dans les délices du matérialisme. La sécularisation triomphe en Europe, fruit d’histoires nationales complexes et d’un effritement de valeurs fondées sur le christianisme. Mais, au nom d’une « laďcité positive », en fait néocléricale dans la bouche de M. Sarkozy, est-ce ŕ l’Etat de suppléer ce que le discours religieux a perdu de pertinence et de capacité ŕ convaincre ? C’est parce qu’ont émergé des droits et des nations libérés de la puissance religieuse qu’ont pu se créer des Etats démocratiques, indépendants de factions confessionnelles rivales. La laďcité est devenue une sorte de « bien commun » de la nouvelle Europe, comme dit le sociologue protestant Jean-Paul Willaime. Aucun pays membre ne s’identifie plus ŕ une force idéologique ou religieuse unique. Cette victoire de la laďcité n’exclut pas la reconnaissance de l’utilité sociale et du rôle d’animation démocratique que joue la religion. Henri Tincq
|
||
|
||
L’immigration, inévitable, indispensable | ||
La commission présidée par Jacques Attali sur la croissance devait proposer, mercredi 23 janvier, ŕ Nicolas Sarkozy d’ouvrir largement les frontičres ŕ l’immigration. Le sujet est d’autant plus sensible que, loin d’avoir préparé les esprits ŕ une telle évolution, le président mčne, depuis qu’il est élu, la politique inverse. Pourtant, tout indique que la rupture préconisée par la commission Attali est nécessaire, tant le gouvernement, dans ce domaine, fait fausse route. Officiellement, la politique de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux présente une double caractéristique : d’un côté, on expulse massivement – et avec objectifs chiffrés ŕ la clé – des clandestins. De l’autre, on accueille – voire on régularise – au cas par cas et sans indiquer de chiffres en fonction des besoins de l’économie. C’est le principe de l’immigration choisie, tel que défini par la France. La réalité est plus complexe : nonobstant les discours du gouvernement, environ 200 000 étrangers entrent chaque année en France et environ 100 000 la quittent. Néanmoins, il suffit de voir comment les étrangers, surtout lorsqu’ils ne sont pas blancs, sont accueillis par la police ŕ Roissy pour comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus, y compris lorsqu’ils ont un portefeuille bien garni. Serait-ce ŕ dire qu’il y a trop d’immigrés en France ? Tout laisse pourtant penser l’inverse. La France compte moins d’immigrés de fraîche date que la plupart des autres pays. En Australie, prčs du quart des habitants sont nés ŕ l’étranger. Prčs d’un Canadien sur cinq est dans ce cas, tout comme 13 % des Allemands, 13 % des Américains, plus de 10 % des Irlandais, et prčs de 10 % des Britanniques. En revanche, ce chiffre tombe ŕ 8,1 % en France. Comme le constate Guillaume Duval dans son livre Sommes-nous des paresseux ? (Seuil, 226 p., 15 ), « la France est le pays riche qui, en dehors du Japon, a maintenu ses frontičres le plus hermétiquement closes depuis 1995 : le poids des immigrés dans la population a augmenté depuis lors 6,5 fois plus en Espagne qu’en France, 4,9 fois plus aux Etats-Unis, 3,6 fois plus au Royaume-Uni, 1,8 fois plus en Allemagne… » De tous les pays cités, la France est celui oů la croissance économique est l’une des plus faibles. Ce n’est pas un hasard. M. Sarkozy explique que la France doit travailler plus et produire plus. En bonne logique, l’immigration devrait ętre une pičce maîtresse de ce dispositif. Des immigrés contribuent ŕ la fois ŕ l’offre de travail et ŕ la demande de biens et de services. « En Espagne, aux Etats-Unis, en Irlande et en Grande-Bretagne, une partie de la croissance s’explique par l’augmentation de la population », estime Lionel Fontagne, professeur d’économie ŕ l’université Paris-I. Ce que confirme l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), męme si ses experts jugent qu' »en général, l’immigration accompagne la croissance plus qu’elle ne la provoque ». Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, reconnaît que « l’immigration zéro n’est ni possible ni souhaitable ». Prétendre fermer les frontičres paraît d’autant plus vain que la libre circulation ŕ travers l’espace Schengen interdit, de fait, ŕ la France de faire cavalier seul en Europe et que la pression mondiale ne peut que s’accroître. Une ONG britannique, Christian Aid, estime que le réchauffement climatique pourrait contraindre 1 milliard de personnes ŕ migrer d’ici ŕ 2050. Męme sans sombrer dans ce catastrophisme, l’hebdomadaire The Economist (5 janvier) note qu’il y a environ 200 millions de migrants (légaux ou illégaux) aujourd’hui dans le monde. « Cela paraît beaucoup mais ça ne représente que 3 % de la population mondiale. Il y a donc un grand potentiel de hausse. Les migrations se sont révélées ętre une bonne stratégie des pauvres du monde entier pour vivre un peu mieux. » Mais il n’y a pas que les pauvres qui veulent émigrer. Quitter son pays coűte cher. C’est risqué. Psychologiquement voire physiquement. Souvent, seuls les plus qualifiés osent se lancer. « Depuis 1992, 40 % des flux d’immigrés en France ont au moins un bac + 2. A Sangatte, on a constaté que 60 % des réfugiés étaient titulaires d’un bac + 4 », explique El Mouhoub Mouhoud, professeur ŕ Paris-Dauphine. Pour ce spécialiste, le concept d’immigration sélective n’est pas opérationnel. « On dit qu’il y a en France 7 % d’immigration économique. Le reste, 93 %, serait constitué d’épouses et d’enfants, de demandeurs d’asile ou d’étudiants. Mais ça n’a pas de sens car, trčs vite, la plupart de ces gens cherchent ŕ leur tour du travail. » BRISER LE TABOU Surtout, l’immigration choisie se heurte ŕ un problčme. Tous les pays développés sont en concurrence pour recruter l’informaticien indien ou l’infirmičre africaine. Du coup, ce sont eux qui ont les atouts en main et leurs stratégies ne correspondent pas toujours ŕ celles des pays d’accueil. « Pour limiter le coűt et le risque liés ŕ la mobilité, les migrants attachent plus d’importance aux réseaux qu’ils peuvent constituer dans un pays qu’aux emplois précis qu’on leur propose », constate M. Mouhoud. Résultat : les Indiens privilégient les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, les Sud-Américains l’Espagne et les Etats-Unis et les Africains francophones la France. En Allemagne, l’ancien chancelier Gerhard Schröder avait lancé, en 2000, un appel aux informaticiens étrangers (essentiellement indiens), tout en limitant ŕ 20 000 le nombre d’entrées possibles pour ne pas ętre submergé de demandes. Mais comme les Etats-Unis et le Canada offraient de meilleures conditions (salaires plus élevés, langue anglaise, visas ŕ durée indéterminée), l’Allemagne n’a délivré que 18 000 « cartes vertes ». La France aura-t-elle plus de chances avec la carte « compétences et talents » qu’elle vient de lancer – ŕ 2 000 exemplaires seulement – ŕ destination des salariés trčs qualifiés des pays étrangers ? Celle-ci n’étant valable que trois ans (renouvelables), il y a de fortes chances que la męme situation produise les męmes effets. Surtout que la concurrence va s’exacerber. « L’évolution de l’immigration dépendra (…) surtout de la capacité de la France ŕ accueillir dans de bonnes conditions les immigrés et leurs familles dans un contexte oů les autres pays de l’Union européenne, du fait de leur faible natalité, auront des besoins de main-d’oeuvre plus importants que la France et seront donc aussi ŕ la recherche de main-d’oeuvre étrangčre », notait, en 2007, un rapport du Conseil d’analyse stratégique sur « les métiers en 2015 ». Que l’immigration pose des problčmes est évident. Mais tant les besoins ŕ venir de l’économie que l’équilibre des comptes sociaux exigent que l’on brise le tabou sur le sujet. Au lieu de créer un ministčre de l’immigration et de l’identité nationale, Nicolas Sarkozy se serait montré plus visionnaire en confiant ce dossier au ministčre de l’économie et ŕ celui de l’enseignement supérieur. Frédéric Lemaître
|
||
|
||
Iran : rien n’est réglé | ||
En tournée dans les pays du Golfe, George Bush a accusé l’Iran, dimanche 13 janvier, d’ętre « une menace pour la sécurité des nations » et « le premier parrain étatique du terrorisme ». Il faut prendre garde ŕ ces propos parce que M. Bush, si affaibli soit-il dans sa derničre année de présidence, n’en est pas moins responsable de la politique américaine, notamment sur le dossier iranien. Or ce problčme n’a pas disparu, loin s’en faut. Plusieurs événements viennent de rappeler l’ampleur des défis posés par l’Iran aux Etats-Unis, aux pays voisins et ŕ la sécurité internationale. Dans les eaux du détroit d’Ormuz, le 6 janvier, un incident naval dont les détails restent ŕ éclaircir a mis aux prises des bâtiments militaires américains et des vedettes des Gardes révolutionnaires iraniens. Dans le face-ŕ-face entre l’Iran et les Etats-Unis, le danger qu’un accrochage militaire mette le feu aux poudres reste une réalité. M. Bush a haussé le ton contre la République islamique alors qu’il se trouvait ŕ Abu Dhabi. Le président américain voulait sans doute rassurer les pays arabes sunnites, qui craignent un affrontement général avec l’Iran, puissance chiite montante. Au Liban, aussi, le poids de l’Iran se fait sentir via le relais du Hezbollah. L’impasse politique perdure dans ce pays, oů le scrutin présidentiel, prévu depuis novembre, a de nouveau été reporté, cette fois au 21 janvier. Le regain rhétorique américain contre l’Iran rappelle aussi que la diplomatie n’est toujours pas parvenue ŕ résoudre l’imbroglio nucléaire. Le 3 décembre, un rapport des agences de renseignement américaines affirmait que l’Iran avait arręté ŕ l’automne 2003 ses activités nucléaires de nature militaire. La pression diplomatique que Washington, Londres et Paris voulaient maintenir sur Téhéran, avec une menace de nouvelles sanctions ŕ l’ONU, s’en est trouvée singuličrement affaiblie. Mais il faut regarder de prčs le texte de ce rapport, ainsi que ses notes de bas de page, pour comprendre qu’un seul des volets problématiques du programme iranien a peut-ętre été arręté, celui qu’il est le plus facile de reprendre. La partie la plus difficile du travail pouvant conduire ŕ une bombe nucléaire, ŕ savoir l’enrichissement d’uranium, continue. Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohamed ElBaradei, vient de se rendre ŕ Téhéran, oů il a conclu un accord sur un délai de quatre semaines pour que les Iraniens expliquent leurs activités scientifiques passées. Ce délai sera-t-il respecté ? Le calendrier, initialement fixé au mois de décembre 2007, ne cesse de glisser. L’Iran, pendant ce temps, ne s’est toujours pas conformé aux demandes du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exige la suspension de l’enrichissement. Sur le front nucléaire, comme sur les autres enjeux régionaux dans lesquels l’Iran est impliqué, rien n’est réglé. (Le Monde)
|
||
|
||
Afghanistan, l’autre guerre | ||
Aprčs les attentats du 11 septembre 2001, la discussion avait été vive entre les conseillers du président George W. Bush. Deux groupes s’opposaient : les tenants de la thčse « Iraq first » et ceux de la thčse « Afghanistan first ». Autrement dit ceux qui, depuis longtemps, voyaient en Saddam Hussein le plus grand danger pour la sécurité des Etats-Unis et ceux qui voulaient frapper Oussama Ben Laden et ses alliés talibans. Les seconds l’ont emporté. A l’automne 2001, de nombreux arguments plaidaient en leur faveur. Le responsable des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone paraissait bien se trouver en Afghanistan ; le régime des talibans était dénoncé par l’ensemble de la communauté internationale, en tout cas par les pays qui la représentent au Conseil de sécurité des Nations unies ; tout le monde, ou presque, était d’accord pour frapper un grand coup, tout de suite, en réponse ŕ la tragédie américaine. Autant cette communauté internationale était enlisée depuis la premičre guerre du Golfe en 1990-1991 dans l’affaire irakienne, autant il lui était facile de réaliser son unité pour « libérer » l’Afghanistan. Non seulement les Russes approuvaient l’opération « Liberté pérenne », mais ils avaient le sentiment que les Américains agissaient dans leur propre intéręt, car eux-męmes craignaient la contagion islamiste sur leurs frontičres méridionales. Parce qu’elle était présentée comme une « guerre de nécessité », l’intervention en Afghanistan suscitait une large approbation, bénéficiant de la légitimité internationale conférée par l’ONU. Tout le contraire de la guerre en Irak. En 2003, l’intervention américaine contre Saddam Hussein est apparue comme une « guerre de choix », dictée non par des impératifs de sécurité internationale partagés par l’ensemble des puissances, mais par la seule volonté du président américain et de son entourage. Elle a suscité l’opposition de trois membres permanents du Conseil de sécurité, dont deux – la France et la Russie – ont formé avec l’Allemagne un front du refus, désastreux pour Washington. Les Etats-Unis ont court-circuité l’ONU, privant leur action de légalité, sinon de légitimité, internationale. L’enlisement dont ils peinent ŕ sortir en Irak paraissait inscrit dans cette conjonction de facteurs négatifs. Est-ce ŕ dire que la guerre en Afghanistan, commencée sous de meilleurs auspices, a plus de chances de se terminer par un succčs ? L’incapacité des Américains ŕ mettre Oussama Ben Laden hors d’état de nuire et de la coalition menée par l’OTAN ŕ venir ŕ bout des talibans, qui se sont réinstallés dans leurs bastions, laisse penser qu’il n’en est rien. L’assassinat de Benazir Bhutto souligne un triple échec de la politique américaine : l’éradication manquée d’Al-Qaida, le vain soutien au régime autoritaire de Pervez Musharraf et l’effondrement de la stratégie concoctée autour d’un partage du pouvoir entre le général-président et la représentante de l’opposition démocratique au Pakistan. Pour autant, il est difficile d’imaginer un désengagement des Occidentaux d’Afghanistan. Pour des raisons qui tiennent aux conditions dans lesquelles l’intervention a été engagée, au constat qu’aucun de ses objectifs n’a été encore atteint et au rôle essentiel attribué ŕ l’OTAN qui joue sa crédibilité dans sa premičre opération hors d’Europe. Avant son élection, Nicolas Sarkozy avait envisagé une réduction de la présence française, voire un retrait complet. Il est revenu sur cette idée qui aurait été dans ses relations avec les Etats-Unis ce que le non ŕ la guerre en Irak avait été pour Jacques Chirac. Le problčme reste entier. Il ne suffit pas d’invoquer, comme en Irak, une « solution politique » ŕ la place d’une « solution militaire » pour le résoudre. Soutenir que cette solution politique pourrait se révéler plus facile ŕ Bagdad qu’ŕ Kaboul n’est pas pousser trop loin le paradoxe. Daniel Vernet
|
||
|
||
Limite des bons offices français au Liban | ||
De toutes les idées brassées par Nicolas Sarkozy avant et lors de son élection ŕ la présidence de la République française, les Libanais n’ont retenu qu’une seule : la « rupture » avec la politique suivie par son prédécesseur. La majorité parlementaire a redouté le pire, elle qui vouait une gratitude sans limites ŕ Jacques Chirac pour avoir tenu un rôle clef dans l’affaiblissement du pouvoir de la Syrie au Liban. L’opposition, dont la plupart des composantes sont alliées au pouvoir syrien, a exulté ŕ la perspective d’un virage régional et local de la politique de l’Elysée. Dix mois aprčs le début de la mission de bons offices française confiée ŕ Bernard Kouchner, les uns et les autres ont mis de l’eau dans leur vin. Néanmoins, et męme si aucun des deux camps ne veut rompre les ponts avec Paris, d’un côté comme de l’autre les reproches s’accumulent. Sur l’air d' »on vous l’avait bien dit », la majorité reproche ŕ la nouvelle administration française d’avoir cru pouvoir réussir lŕ oů ont échoué ses prédécesseurs et d’autres gouvernements de nationalités diverses – dont le saoudien et l’égyptien – pendant des années. Les opposants, eux, tancent la France pour n’avoir pas su « prendre nettement ses distances vis-ŕ-vis des Etats-Unis ». Paris n’a pas carrément « rompu » avec la diplomatie chiraquienne. Il a plutôt opté pour une politique plus « équilibrée » que celle suivie par cette derničre, en ouvrant des canaux avec le régime syrien, encore trčs influent au Liban. L’idée directrice telle qu’elle a été livrée le 18 décembre par M. Sarkozy ŕ des journalistes arabes est que « l’immobilisme au Proche-Orient et au Maghreb est plus coűteux que le risque pris dans l’action ». La brčche, si conditionnelle fűt-elle, ainsi dégagée dans la relation avec Damas n’a toutefois donné ŕ ce jour aucun résultat probant. Pis, déplore la majorité politique libanaise, cette ouverture a eu ŕ ce jour l’effet contraire de celui recherché. Sollicité directement par le sommet de l’Etat français, ŕ travers des émissaires de l’Elysée, ou lors de trois appels téléphoniques de M. Sarkozy lui-męme ŕ propos du volet présidentiel de la crise libanaise, le président syrien Bachar Al-Assad s’est auto-persuadé qu’il était en position de force et qu’il pouvait s’offrir le luxe de ne rien céder, tout en tenant ŕ ses interlocuteurs des propos lénifiants. Non sans railler ŕ l’occasion et sans les nommer tous les émissaires qui demandent ŕ son pays d’user de son influence au Liban aprčs que la communauté internationale l’eut sommé de ne plus s’ingérer dans les affaires de ce pays. L’un de ses plus proches collaborateurs, le vice-président Farouk Al-Chareh, ne s’est pas privé de claironner que « la position de la Syrie au Liban depuis le retrait de ses troupes n’a jamais été aussi bonne » et que Damas dispose dans ce pays « d’une force réelle ». Et le ministre des affaires étrangčres, Walid Moallem, a surenchéri en assurant que Paris et Damas sont sur une męme longueur d’onde, qui rejoint celle des opposants libanais, et sur laquelle les Etats-Unis et leurs alliés au Liban jouent les parasites. Propos contredits par M. Sarkozy lui-męme, qui, lors du męme entretien ŕ des journalistes arabes, affirmait qu’il ne pouvait « plus se contenter des paroles » du président syrien et qu’il attendait « désormais des actes ». A distance des protagonistes libanais de la crise aiguë que traverse le pays du Cčdre, Paris n’a pas disposé, ni ne dispose des moyens de sa nouvelle orientation diplomatique. La « carotte » lui fait défaut, qui aurait pu rendre sa politique envers Damas efficace. Ni les promesses d’amélioration des relations bilatérales syro-européennes, ni l’éventuel engagement ŕ oeuvrer pour une reprise des négociations israélo-syriennes ne sont de nature ŕ allécher un pouvoir syrien qui estime, non sans quelque raison, que seuls les Etats-Unis tiennent des leviers de commande dans la région et qui a déjŕ les yeux tournés vers les lendemains de la présidentielle américaine. Paris n’est pas non plus détentrice du « bâton » qui aurait pu faire réfléchir le pouvoir syrien et l’amener ŕ exercer des pressions ou son influence sur ses amis et alliés au Liban pour qu’ils facilitent une solution de la crise. En la matičre, les Etats-Unis n’ont rien ŕ envier ŕ la France dans la conjoncture actuelle. Leurs rodomontades et leurs menaces ŕ l’endroit du régime syrien, assorties de professions de foi et d’amitié envers le Liban, ne se sont traduites ŕ ce jour que par le gel des avoirs – si tant est qu’ils existent – de certains membres de la nomenklatura syrienne et de Libanais amis du régime syrien. Aprčs avoir, dans un premier temps, prôné un changement de régime ŕ Damas, les Etats-Unis se sont repliés sur une demande de « changement de comportement », notamment aprčs qu’Israël a fait savoir que, en raison du risque de l’arrivée d’islamistes au pouvoir ŕ Damas, il souhaitait le maintien en place du régime de Bachar Al-Assad. L’objectif de ce dernier au Liban est clair : maintenir cette carte comme une de ses pičces maîtresses sur l’échiquier du Proche-Orient, « se venger » de l’humiliation subie lors de son retrait forcé du pays du Cčdre en avril 2005 ; mais avant tout, et de l’avis quasi général, entraver la mise sur pied du tribunal ŕ caractčre international chargé de juger les présumés coupables de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri. De lourds soupçons pčsent sur une implication syrienne dans cet assassinat commis lorsque les services syriens tenaient encore toutes les ręnes politiques et sécuritaires au pays du Cčdre. Fort de ses amitiés libanaises dans l’un et l’autre camps antagonistes, Bernard Kouchner n’a pas ménagé ses efforts pour amener les parties en conflit ŕ s’entendre. Mais au fil de sept missions accomplies ŕ ce jour, avant et dans la foulée d’une sorte d’assemblée générale de seconds couteaux réunie en Celle-Saint-Cloud, le chef de la diplomatie française a dű en rabattre. Les rares percées et espoirs qu’il a parfois dégagés demeuraient, de son propre aveu, extręmement fragiles. A peine avait-il le dos tourné que les progrčs enregistrés étaient remis en question par une complication nouvelle. Il a affirmé qu’il finirait par dénoncer les responsables de l’impasse, mais ŕ ce jour il ne l’a jamais fait. Sans doute parce que Paris n’a pas – pas encore ? – jeté l’éponge, dans l’intéręt de Beyrouth, mais aussi pour ne pas perdre la face. Or, plus que jamais au cours de ses multiples péripéties, la crise libanaise échappe aux simples équations politiques internes. Comme ce fut le cas de façon plus ou moins dramatique depuis son indépendance, le Liban est l’un des théâtres d’une pičce oů se męlent les acteurs nationaux régionaux et internationaux aux intéręts divergents. |